Des organisations de la société civile ont estimé, hier que le projet du gouvernement relatif à la création d'une instance des élections n'offre pas des garanties d'indépendance. Ces organisations actives dans le domaine de l'observation électorale et parmi lesquelles figurent notamment l'Association Tunisienne pour l'Intégrité et la Démocratie des Elections (ATIDE), le réseau «Mourakiboun» (observateurs) , le collectif ‘‘Aoufiya'' (Fidèles) et la Ligue des Electrices Tunisiennes (LET), ont procédé à une analyse critique de ce projet de loi et présenté des propositions à communiquer au grand public et à l'Assemblée constituante lors d'une conférence de presse tenue hier à Tunis. «La démocratie tunisienne est en danger. L'intégrité des prochaines élections est menacée au cas où l'Assemblée approuve le projet du gouvernement relatif à la création d'une instance des élections contradictoire avec les principes d'indépendance et de transparence garantissant des élections intègres et démocratiques », a déclaré d'emblée Rafik Halouani, président du réseau Mourakiboun.
De son côté, Moez Bouraoui, président de l'Association ATIDE, a précisé que la mise en place d'une instance supérieure indépendante pour les élections constitue une question déterminante pour la réussite de la transition démocratique en Tunisie
Le président du collectif Aoufiya, Kamel Gharbi, a, quant à lui, appelé le gouvernement, les partis politiques et la société civile à approfondir le débat et associer le maximum d'experts et de compétences sur l'instance supérieure indépendante pour les élections. «Un premier projet de loi relatif à cette instance attribué au gouvernement a fuité avant que le gouvernement ne présente officiellement son projet sans avoir procédé à des larges consultations avec la société civile. C'est dire qu'on a l'impression que certaines parties cherchent à faire passer ce projet en catimini», maugrée-t-il. Et d'ajouter: «dans ce contexte, nous nous attachons à jouer pleinement le rôle d'une société civile qui contrôle, formule des réserves et propose des recommandations de nature à améliorer le projet de loi».
Critères subjectifs
Dans leur analyse critique du projet de loi du gouvernement relatif à la création d'une instance indépendante des élections, les organisations contestent, en premier lieu, le mode de nomination de l'instance qui comprend un président et huit membres. Le président est désigné par consensus des trois présidents (président de l'Assemblée, président de la République et chef du gouvernement), puis voté par l'Assemblée constituante à la majorité absolue des membres (50%+1). Pour les huit membres, une commission spéciale composée des chefs de groupes parlementaires procède à une présélection de 16 candidats parmi les candidatures libres qui lui parviennent. L'Assemblée procède par la suite à un vote au scrutin majoritaire plurinominal pour choisir huit membres seulement.
Selon les organisations ayant procédé à l'analyse du projet de loi dévoilé récemment par le gouvernement, la nomination du président de l'instance ne garantit pas son indépendance. De même, la règle de la majorité absolue appliquée pour la validation du président de l'instance et de ses membres ne garantit pas la réalisation d'un large consensus.
Dans le cadre actuel, les trois présidents qui devraient choisir le président de l'instance sont issus de la même majorité, en l'occurrence la troïka composée d'Ennahdha, du Congrès pour la République et d'Ettakatol. Cette même troïka qui dispose d'une majorité à l'Assemblée constituante est ainsi en mesure d'imposer son candidat.
Selon la société civile, le mode présélection des 16 candidats pose aussi problème : non seulement la présélection des candidatures est soumise à un critère objectif incertains ( « dans l'intérêt du bon fonctionnement de l'instance ») mais là aussi, une majorité parmi les groupes parlementaires suffit à formuler la liste des 16 candidats.
Par ailleurs, les compétences requises pour les membres de l'instance ne sont pas clairement définies.
Dépendance fonctionnelle
Sur un autre plan, l'article 13 du projet de loi présenté par le gouvernement stipule que l'immunité d'un membre de l'instance peut être levée à la majorité absolue des membres de l'Assemblée et sur demande du président de l'instance. Aux yeux de la société civile, ce mécanisme rend la levée de l'immunité excessivement aisée. Un président désigné avec le soutien de la majorité parlementaire peut utiliser cette procédure pour évincer une voix discordante au sein de l'instance. De plus, même si cette procédure n'est pas utilisée, la relative facilité avec laquelle elle peut être mise en œuvre peut nuire à la pluralité des débats et des opinions au sein de l'instance.
Selon l'article 14, un membre de l'instance peut, par ailleurs, être révoqué pour faute grave à la demande du président et par vote de l'Assemblée. Cet article ne précise pas comment la faute est constatée ou quel moyen de défense le membre incriminé peut faire valoir. Dans ce cadre, la société civile recommande un vote à la majorité qualifiée des deux tiers.
D'autre part, l'article 21 du projet de loi présenté par le gouvernement, appelle les administrations publiques à mettre à la disposition de l'instance et sur demande les bases de données et les statistiques n rapport avec la conduite des élections. Ces dispositions sont très en retrait par rapport ay décret-loi du 18 avril 2011 qui appelait les autorités publiques à apporter à l'ISIE toutes les facilités dont elle a besoin pour accomplir ses missions. L'article 21 limite ainsi, selon les associations, considérablement le pouvoir de l'instance de requérir les services de l'Etat alors que la conduite des élections nécessite des disposer d'énormes moyens humains et matériels.