Par Nihel BEN AMAR(*) Nous voilà face à un nouveau projet de loi de création d'un organisme de gestion des élections qui circule sur le Net et dont le dépôt à l'ANC n'a pas encore été effectué. A la lecture de ce projet, nous retrouvons les empreintes du projet de l'Association tunisienne pour l'intégrité et la démocratie des élections (Atide) et du projet de la coalition Ugtt, ligue, ordre des avocats et experts. Cette fusion a été annoncée et s'est matérialisée. A voir ce caractère participatif de la société civile, le projet de loi ne peut au final que fédérer l'opinion publique autour de lui et le faire accepter. Je profite de cet espace opinion pour livrer mes réflexions et propositions pour l'amélioration de ce projet. A cette nouvelle instance, on a attribué la dénomination Instance indépendante des élections. Personnellement, j'appelle à ce que cette instance retrouve son S et que son appellation demeure Instance supérieure indépendante des élections pour plusieurs raisons. La première est que quand elle a été conçue, elle l'a été dans une assemblée multipartite qu'a été la Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique; elle découle donc d'un consensus post Révolution et la nouvelle instance doit s'inscrire dans cette continuité. Par ailleurs, l'ancienne instance a un capital sympathie et surtout confiance auprès des Tunisiens pour sa conduite des élections du 23 octobre qu'il ne faut pas gaspiller. Pour finir cette argumentation, l'appellation Isie de l'instance est aujourd'hui aussi connue que la Tunisie dont elle emprunte les 4 dernières lettres comme pour signifier que son existence est scellée à la Tunisie. Ce qui m'a interpellé à la lecture de ce nouveau projet est l'injustice qui est en passe d'être infligée aux citoyennes tunisiennes. En effet, ce projet n'inscrit à aucun moment la représentation des genres, ni dans les candidatures, ni dans les résultats. De par ce texte de loi, la nouvelle structure sera aussi mal équilibrée en genre comme l'a été l'ancienne structure qui comptait 2 femmes sur 16 membres, soit un pourcentage de représentation de 12,5 %. La Tunisie compte-t-elle 12,5% de femmes? Si on se réfère à la Déclaration universelle des droits de l'Homme, l'article 21 stipule : «Toute personne a droit à accéder, dans des conditions d'égalité, aux fonctions publiques de son pays...». Elle est où cette égalité, quand on voit qu'aucune clause n'est formulée dans le texte pour garantir l'égalité des conditions pour faire figurer la femme dans les 8 candidatures ouvertes retenues sur la base d'un appel à candidature ? Elle est où l'égalité des conditions quand les 10 candidatures proposées par les instances qui supervisent les corps de métiers juges, avocats et universitaires risquent d'être que masculines ? La convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes ratifiée par la Tunisie en 1985 énonce dans son article 7 de la deuxième partie que «les Etats parties prennent toutes les mesures appropriées pour éliminer la discrimination à l'égard des femmes dans la vie politique et publique du pays et, en particulier, leur assurent, dans des conditions d'égalité avec les hommes, le droit : b. de prendre part à l'élaboration de la politique de l'Etat et à son exécution, occuper des emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du gouvernement.» Dans le projet actuel, aucune mesure n'a été prise pour assurer des conditions d'égalité de candidature homme/femme à cette instance. Pourtant, ces conditions d'égalité ne seraient pas difficiles à assurer : une candidature paritaire de la société civile retenue parmi les centaines ou le(s) millier(s) de candidatures ouvertes et le respect de la parité dans les propositions de candidatures des instances qui supervisent les catégories de métier (juges, avocats, universitaires). Par ailleurs, et dans le respect de la parité, le nombre des candidatures devrait augmenter de 18 à 36 (20 provenant des corporations professionnelles et 16 de la société civile) pour permettre un choix plus conséquent que celui d'un candidat sur deux proposé dans le projet. Dans ce projet de loi, la commission spéciale de sélection des candidatures de la société civile est présidée par le président de l'Assemblée législative et composée des présidents des groupes parlementaires. Dans cette configuration, la commission est déséquilibrée par le fait que le parti politique du président de l'assemblée législative a deux voix : celle du président lui-même et celle du président de son groupe parlementaire. La solution serait soit d'enlever au président de l'assemblée législative le vote, soit de supprimer le siège du président du groupe parlementaire du parti du président de l'assemblée, soit de ne garder dans la commission que les présidents des groupes parlementaires comme prévu dans le projet de l'Atide. Par ailleurs, on constate que les parlementaires indépendants sont exclus de la commission spéciale de sélection des candidatures. Cette exclusion est à lever en les faisant représenter par un parlementaire de leur choix et si le consensus n'est pas trouvé, de les faire représenter par le(a) plus jeune ou le(a) plus âgé(e). Telle que proposée dans le projet de loi, la sélection des candidatures par la commission spéciale de l'assemblée législative s'effectue par voie de consensus et à défaut par voie de vote à la majorité absolue des membres. L'assemblée plénière élit les membres de l'instance à la majorité des deux tiers de ses membres. A ce niveau, il est à signaler qu'il est plus cohérent d'inverser les majorités de votes et les rendre dégressives (aux 2/3 en commission spéciale et majorité absolue en plénière) car voter sur plusieurs tours à la recherche des 2/3 de voix sans rabaisser les exigences mène au blocage. En effet, même sur 2 candidats, la majorité à 2/3 peut ne pas être obtenue dès le 1er tour et mettre l'assemblée dans l'obligation de revoter un deuxième tour jusqu'à un nième tour pour compléter la liste avec les mêmes candidats revient à rabaisser les exigences et équivaut à un vote avec une majorité plus simple (majorité absolue, majorité relative). Dans l'article 6 qui traite de l'éligibilité des candidats, parmi les conditions il est dit que le candidat doit être âgé de 40 ans au moins et n'avoir pas été membre d'un parti politique pendant les trois années précédant la date d'ouverture des candidatures. Il me semble que 35 ans, comme proposé dans le projet de l'Atide et dans le projet de la coalition Ugtt et Co, est un âge convenable qui tient compte des longues études et d'une expérience professionnelle d'au moins 5 ans. La non-adhésion à un parti politique seulement 3 ans avant la date d'ouverture des candidatures n'est pas suffisante et ne protège pas l'instance des infiltrations par les démissions de façade des partis politiques. Pour éviter cela, on peut simplement demander que le candidat n'ait jamais été membre d'un parti politique. En ce qui concerne le recrutement des agents de l'instance, même s'il lui est laissé le soin de proposer le statut particulier de ses agents (art 30), il est impératif d'exiger qu'ils ne soient pas membres de partis politiques. L'adoption de cette mesure aura comme bénéfice la neutralité de l'administration électorale.