« Mais pourquoi tout est si cher ? » Ce cri du cœur poussé au marché central et plus précisément dans le couloir des marchands de fruits, par un quadragénaire aux revenus modestes était touchant par sa spontanéité et sa sincérité. Ce n'est ni le premier, ni le dernier cri que l'on entend en ces lieux, mais celui-ci avait un petit air désespéré qui nous a poussé à chercher les raisons de cette hausse anormale des prix cette année...
Le saviez-vous ? Il existe une Commission Nationale de Maîtrise des Prix, dépendante du Premier Ministère, qui a récemment constaté que « les prix des produits alimentaires de grande consommation ont régressé au cours des 10 premiers jours du mois de Ramadhan. » Parions qu'ils sont bien les seuls à avoir fait un tel constat dans leur monde virtuel, car le citoyen moyen ne s'en est pas encore aperçu, puisque cette baisse n'existe pas dans le monde réel !
Au ministère du Commerce et de l'Artisanat, on évoque « une baisse des prix des légumes et des fruits, des dérivés du lait et des œufs ». Or sur les étals de nos marchés et dans nos grandes surfaces, on ne voit pas clairement cette baisse. Sur quelles statistiques s'est-on alors basé pour claironner des chiffres sur la baisse variant entre 15 et 21%, entre février 2012 et la deuxième semaine de Ramadhan.
Mieux encore : au moment où les bouchers et les commerçants de la viande de poulet et de dinde au détail refusent la fixation des prix plafond durant le mois de Ramadhan, au ministère de tutelle on annonce que « le prix du poulet de chair a connu une baisse variant entre 10 et 14%, alors que pour les œufs, cette baisse s'est située entre 15 et 17%. La viande bovine aurait connu une baisse de 16%. » A se demander si on vit sur la même planète...
Mais il y a pire dans la falsification des chiffres : d'après les statistiques officielles du ministère du Commerce et de l'Artisanat, « l'indice des prix de certains produits agricoles a enregistré un recul de 65% pour les piments, l'oignon et les tomates, et de 53% pour les fruits (melons, pommes et poires), entre février et juillet 2012. » Une manipulation des chiffres aberrante, puisqu'en février on était en plein hiver et ces produits étaient rares, donc très chers.
Du côté de la Commission Nationale de Maîtrise des Prix, on a fait semblant de découvrir aujourd'hui ce que tous les tunisiens savent depuis de longues années :« on a constaté des défaillances au niveau des systèmes d'approvisionnement et des circuits de distribution, le contrôle économique. » Il était temps !
D'autres services, heureusement, parviennent à sévir : c'est le cas de la garde douanière, qui a effectué 1500 patrouilles sur tout le territoire, avec plus de trois mille affaires qui ont été intentées devant la justice, pour un montant de sept millions de Dinars. Il s'agit d'infractions relatives aux marchandises introduites en Tunisie, ou exportées illégalement, par le biais de la contrebande Ces opérations couvrent les hydrocarbures, le bétail, le prêt à porter, les médicaments, les pneus, les produits alimentaires et les cigarettes.
Pour en revenir à notre quadragénaire du marché central et à son cri d'impuissance, le plus grand problème constaté au cours de ce mois de Ramadhan reste celui de la communication trafiquée et des chiffres erronés pour tromper le consommateur et lui faire croire que l'on fait des efforts, alors que les spéculateurs s'en donnent à cœur joie. Et nous finissons tous par nous demander :« qui a vu les prix baisser ? »