Pendant les deux premières semaines de Ramadhan, nous n'avons pas évoqué l'épineuse question du poisson et encore moins ses prix et sa qualité, car d'autres sujets plus urgents ont accaparé notre attention. Récemment, lors d'une visite dans certains de nos marchés, nous nous sommes rendus dans ces espaces réservés aux poissons, généralement isolés des autres.
Ce qui attire immédiatement l'attention, c'est l'odeur. Bien sûr qu'il fait chaud. Bien sûr que le poisson c'est fragile et que ça se gâte vite. Bizarrement, aucune loi n'oblige les poissonniers à utiliser des vitrines frigorifiées, comme chez les bouchers. A la place, il y a de la glace que l'on entrepose directement sur les poissons mais qui fond bien vite et qui dégouline par terre, ajoutant à la puanteur.
Les prix, vous l'avez certainement constaté, vont de cinq Dinars pour les maquereaux à plus de trente pour le mérou ou l'espadon, qui sont devenus très rares de nos jours. Pour les loups et les daurades d'élevage les prix oscillent entre douze à quatorze Dinars. Une petite astuce pour différencier le poisson sauvage et celui qui est issu de l'aquaculture : les nageoires de ces derniers sont de couleur rougeâtre.
Remarque importante concernant la taille des poissons : un grand nombre d'étals proposent des poissons minuscules, « pour la soupe » selon le marchand. Sauf que ces petits poissons ont été prélevés dans la mer sans atteindre leur taille adulte et sans avoir eu l'opportunité de se reproduire. Ce qui signifie qu'à long terme, les pêcheurs sont en train de vider la mer et de couper la branche sur laquelle ils sont assis...
La raréfaction du poisson due à une surpêche dure depuis de longues années et pour bien comprendre ce phénomène, il faut observer les filets des petits pêcheurs, avec leurs mailles si étroites que tous les petits poissons s'y retrouvent prisonniers. Du coup, les poissons n'ont plus le temps de grossir. Même le poisson bleu ne résiste plus à cette surpêche et on a constaté une baisse importante cette année.
Un vieux « Raïs » de la mer nous dessine quelques pistes qu'il a connues quand il était actif : « il y a d'abord les pêcheurs étrangers, italiens essentiellement, qui pêchent nos poissons avec des bateaux usines, sans que l'on puisse les attraper. Ensuite il y a les magouilles certains pêcheurs tunisiens de haute mer qui préfèrent vendre leur pêche aux étrangers, italiens, grecs, égyptiens en devises. Et puis il y a l'éternel problème des intermédiaires de la distribution qui décident des prix et de la quantité, quitte à jeter le reste à la mer. »
Au marché central, les poissonniers continuent à vanter leurs produits avec force cris et slogans vantant la fraicheur présumée de leurs produits. Mais la plupart des clients passent sans acheter. Qui donc peut se payer des crevettes à plus de trente Dinars ou de gros pageots à dix huit ? Quand on sait que plus de la moitié du poisson est constitué d'épines, d'écailles, d'arêtes et d'intestins, on se retrouve avec la moitié du poids pour le double du coût !
Et puis il y a ceux qui trichent en enlevant la peau des roussettes, ces petits requins qui ne dépassent pas soixante centimètres, et qui sont vendus en rondelles comme du poisson de grande qualité. Il y a enfin les sardines qu'il faut absolument vendre et consommer dans la journée. Ses prix atteignent cette année 2D500 minimum. Même les amateurs de barbecues hésitent...
« Le poisson, c'est pas pour nous » dira une dame. Et elle n'est pas la seule de cet avis...