Parce qu'ils sont ce miroir qui démontre la face hideuse de la réalité ou sa splendeur, les médias, ce quatrième pouvoir, sont les frères-ennemis de tout pouvoir. Si du temps de Ben Ali, la presse tunisienne était muselée et obligée de chanter les louanges d'un pouvoir corrompu, aujourd'hui, la «révolution» aidant, elle s'entête à réclamer son indépendance et à être en deçà de toutes les querelles politiques. Des signes avant-coureurs latents, au départ sont de plus en plus patents et une course effrénée a commencé afin de cadenasser l'information pour mieux détourner l'opinion publique et fausser la réalité, ou pire encore, remettre au placard la liberté d'expression et l'enfermer à double tour. Or, les journalistes n'ont pas dit leur dernier mot.
Boutheïna Gouia, journaliste à la radio nationale limogée : la vérité ne plairait pas à tout le monde !
Le limogeage, hier, de Boutheina Gouia (journaliste à la radio nationale) suite à son émission «Sur le chemin de la vérité» en est la meilleure preuve. Cette émission qui a démarré le lendemain du 14 janvier traite des sujets de corruption et constitue un profond travail d'investigation et de lutte contre la corruption. Voici son témoignage :
«Mon émission a démarré à midi. J'avais pour invités Nabil Jmour, Mohamed Saïdi (syndicat de la télévision nationale), Néjiba Hamrouni et Zied El Héni (SJNT) et le syndicat de la culture et de l'information. Le sujet du jour était la situation actuelle des médias tunisiens et les nominations parachutées et équivoques à la tête de la presse tunisienne (radios, télévisions et presse écrite). Nous avons parlé de l'urgence d'une instance indépendante de l'information qui réglementerait le secteur médiatique et non pas ces nominations imposées par l'Etat pour travailler un agenda politique prédéterminé. Se sentant concerné, surtout après que j'aie publié sa carte d'adhésion 2010 au RCD, notre Président directeur général, Habib Belaïd, m'a tout bonnement limogé par téléphone. A 15h, c'est notre responsable de la production Hbib Jgham pour me dire que le PDG a ordonné mon limogeage. Suite à cela, j'ai réclamé que cela soit fait par écrit. Le lendemain, j'irai tout de même travailler et gare à ceux qui s'opposeront à moi ! Je serai accompagnée de représentants de la société civile, du centre de Tunis pour la liberté de la presse, le SNJT et un huissier notaire. Le 14 janvier, j'étais à la radio durant 18 heures au studio pour épauler mes confrères et consœurs alors que notre cher PDG, était en congé du 9 au 29 janvier !»
La télévision nationale au cœur de la bataille
Une consœur de la télévision nationale a tenu à nous donner son témoignage quant à la situation actuelle des médias et de la bataille qu'ils livrent contre la censure :
«Nous rêvons, nous espérons, mais nous n'avons pas encore des médias à la hauteur et un produit journalistique et audio-visuel de qualité et qui répond parfaitement aux normes professionnelles et respecte la déontologie. Nous avons vu les journaux de " la presse des caniveaux " augmenter et le niveau de la diffamation et des attaques contre les personnes, leur dignité et leur vie privée se rabaisser encore plus , ceci est le résultat du vide juridique et institutionnel, d'avorter toute initiative d'organisation et d'union dans le secteur, car la situation actuelle est favorable à une mainmise et à plus de contrôle et d'intervention. La seule solution urgente et efficace que je vois est un accord entre tous les gens de la profession , toutes les instances professionnelles concernées et des organismes représentants de la société civile (exemple la ligue des droits de l'Homme, les associations qui défendent la liberté de la presse, reporters sans frontières, le centre de Tunis de la liberté de la presse , pour constituer dans l'immédiat un noyau ou une commission provisoire composée de quelques sages et de professionnels intègres, propres et compétents, qui sera chargée de gérer les problèmes du secteur et de faire la coordination dans l'entente et le dialogue , avec tous les médias de la place (journaux, télés, radios ...) , de faire respecter les normes et la déontologie; une sorte de COMMISSION DE SAGES désignés de manière consensuelle , dans l'attente de la révision et de l'adoption de la loi instaurant l'instance de régulation et le nouveau code de la presse».
Hichem Snoussi (Représentant d' «Article 19» Tunisie) : «Des étapes à franchir»
«Il est clair qu'il y a une véritable crise entre le pouvoir et les médias. Je cerne toute cette problématique en deux points. Il faudrait que le pouvoir exécutif accepte et comprenne que le rôle de la presse, dans une période transitoire ou autre, consiste en le contrôle des agissements du pouvoir exécutif. La presse a ce droit d'interroger, de guetter et de surveiller le gouvernement durant la phase transitoire. Une fois que le ce dernier accepte cette règle du jeu, on peut passer à la seconde étape qui consiste en le changement de la relation pouvoir-presse. De son côté, le pouvoir exécutif doit se décharger de ce rôle qu'il tient à jouer comme pouvoir de tutelle sur les médias. C'est ainsi que l'on pourra couper avec les anciennes pratiques. Pour «Article 19», la solution est le retour au dialogue, au débat parce que la presse ne devrait pas être un tremplin qui sert un agenda bien précis mais bien un ensemble de valeurs à défendre.»