A l'arrivée du nouveau Résident Général, la situation en Tunisie était très tendue. En août 1933, une manifestation à Monastir contre l'enterrement du fils d'un fonctionnaire naturalisé dégénéra en émeute. Les naturalisés à l'époque étaient considérés comme étant des apostats (murtad). La nationalité en principe n'a rien à voir avec la religion, puisqu'il y a bien des musulmans de toutes les races et de toutes les nationalités. Toutefois dans la conjoncture de l'époque, ceux qui se faisaient naturaliser Français afin de toucher un meilleur salaire que les Tunisiens, étaient considérés comme des collaborateurs avec l'occupant, donc des rénégats. Ceux-ci aux yeux des musulmans étaient des apostats. Ils ne pouvaient pas être enterrés avec les musulmans. Des incidents pour la même raison eurent lieu partout en Tunisie et notamment à la capitale, où les naturalisés étaient finalement enterrés dans des cimetières, qui leur étaient réservés. Peyrouton essaya donc de gagner la sympathie d'un certain nombre parmi les membres du Destour, dans un dessein de semer la zizanie et disloquer le parti. Il entra ainsi en contact avec eux en vue d'une collaboration, les incitant à préparer à cet effet l'opinion tunisienne. Ce qui suscita la colère de plusieurs autres membres du Destour, dont Bahri Guiga, Habib Bourguiba, Mahmoud Materi et Tahar Sfar. Ceux-ci désavouèrent ceux qui avaient accepté de collaborer avec Peyrouton et présentèrent leur démission du parti en décembre 1933. Le 2 mars 1934, au congrès du Parti à Ksar Hellal, les démissionnaires firent état aux congressistes de la crise du parti et de ses causes, dénonçant par là même, les agissements des membres de la commission exécutive. La dissolution de celle-ci fut proclamée au congrès et de nouveaux statuts du Néo-Destour furent élaborés et approuvés. Les membres du bureau politique du Néo-Destour furent : Mahmoud El Materi, président, Habib Bourguiba secrétaire général, Tahar Sfar secrétaire général adjoint, Mohamed Bourguiba, trésorier Bahri Guiga, trésorier général. L'action des hommes du Néo-Destour fut immédiatement engagée, menant sans cesse un contact direct avec le peuple, afin de l'inciter à mener un combat sans merci contre l'occupant, et lui faire prendre conscience de ses droits, violés et bafoués par les autorités coloniales qui menaient une répression aveugle et acharnée contre tous ceux qui agissaient avec véhémence et abnégation afin que le pays pût recouvrer sa souveraineté et sa liberté. Charles André Julien, l'historien de l'ère coloniale en Tunisie, écrivait à ce propos. "Il y eut désormais deux partis destouriens : le Néo-Destour qui entraîna derrière lui l'immense majorité du pays et le Vieux Destour, replié sur lui-même et attendant son heure". Avec le recul, peut-on affirmer que les membres du Destour voulaient vraiment collaborer avec le Résident général, ou peut-être était-ce une stratégie de leur part en choisissant la politique de concertation,sans recourir à la manière forte ? D'autant plus que Peyrouton, avait malgré la répression qu'il menait, institué une commission chargée de préparer certaines réformes, et nomma à la tête de la mosquée Ezzeïtouna institut théologique de renommée dans tout le Maghreb, le Cheikh Mohamed Tahar Ben Achour, réputé pour ses idées réformatrices. Par la même, Peyrouton rétablit certains dignitaires religieux, dans leurs fonctions, après avoir été destitués, sous son prédécesseur, Manceron. Il créa également des cimetières réservés aux naturalisés pour mettre fin au problème de leur inhumation. Cependant les membres du Néo-Destour, n'acceptèrent pas une collaboration avec Peyrouton à n'importe quel prix. L'histoire étant un éternel recommencement, le différend qui éclata en 1955 entre les deux leaders Bourguiba et Ben Youssef, l'était à peu près, et toute proportion gardée, pour les mêmes raisons. Cependant et avec le temps, Bourguiba, choisit la négociation en vue de l'autonomie interne, étape menant vers l'indépendance totale. Chose que refusait Ben Youssef, optant pour la manière forte, seule voie vers l'indépendance totale sans aucune étape intermédiaire ni demi-mesure. En tout état de cause, tous ces militants, qu'ils fussent du Vieux Destour ou du Néo-Destour, et malgré leurs différences de points de vue, sur la stratégie à suivre, étaient tous animés de bonne foi, défendant une même cause et poursuivant un seul et même objectif la libération du pays et la dignité de ses hommes.