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Le peuple tunisien aura encore à patienter pour retrouver son équilibre et son bien-être Mourad Guellaty invité à Washington pour donner une conférence
M. Mourad GUELLATY, expert-comptable et économiste tunisien, a été invité récemment (le 27 septembre) par l'American Tunisian Association pour donner une conférence sur la situation de l'économie tunisienne et ses perspectives, à l'Université Johns Hopkins SAIS à Washington, siège de cette Association. Dans le cadre du programme de cette association, Mourad GUELLATY était le Tunisien choisi pour inaugurer cette chaine de conférences prévues pour l'automne 2012. Mourad GUELLATY fut le premier président du Conseil de l'Ordre des experts comptables de Tunisie et fondateur de la Société Arabe des Experts Comptables, ASCA associée à l'ACCA britannique. Titulaire de Doctorat en sciences économiques à Assas -Sorbonne, à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, il fut tour à tour Junior, Senior, Manager et Senior Manager, à Price Waterhouse & Co, Paris, Afrique Francophone et Associé de Price Waterhouse Abu Ghazaleh (Paris, Casablanca, Kuwait, Tunis) de 1972 à 1983. Il fut correspondant de Coopers & Lybrand Paris de 1995 à 1998. Il a enseigné en France, à Paris Assas, en qualité de Maître Assistant en 1976-1977 et à l'IHEC Tunis en 1977-1978. Il exerce depuis une trentaine d'années en Tunisie à la tête du Cabinet éponyme dans le domaine de l'expertise comptable. Nous l'avons rencontré à son retour de Washington pour l'entretenir sur la portée de cette conférence et sur l'opinion que les Américains se font sur la Tunisie post-révolution. Entretien : Le Temps : Quelles sont les questions que vous avez abordées dans cette conférence ? M. Guellaty : j'ai d'abord fait un état des lieux sur la situation économique aux U.S.A à la veille des élections de novembre prochain, des difficultés vécues suite à la montée des Etats émergents, notamment la Chine, qui constitue une menace pour l'économie américaine à l'horizon 2025 et même avant. J'ai également parlé des relations avec l'Europe, l'Afrique et le Moyen-Orient. Enfin, j'ai abordé la question de l'économie tunisienne, objet de cette conférence. J'ai donné un large aperçu sur l'économie tunisienne d'avant et d'après la Révolution ; j'ai parlé des perspectives tout en analysant la situation politique de la phase transitoire et les priorités que doit accorder le gouvernement provisoire pour remettre l'économie sur pied. De même, j'ai procédé à la description des mesures urgentes, à moyen et à long terme, qu'il faudrait prendre afin de mettre fin à cette situation alarmante. Ces mesures sont d'ordre institutionnel (achèvement de la nouvelle constitution et l'élaboration d'un calendrier électoral, d'ordre politique (apaisement des esprits et recherches de compromis entre toutes les parties) et d'ordre sécuritaire (retour à l'ordre et suppression des foyers de tension qui sont nuisibles à l'image du pays et non rassurants pour les investisseurs étrangers. J'ai passé en revue tous les secteurs (agriculture, tourisme, industrie, services...) en mettant l'accent sur les faiblesses et les obstacles de l'économie tunisienne. Pourriez-vous donc nous citer ces faiblesses et ces obstacles ? J'ai tenu à faire un flash-back sur l'économie tunisienne, car on ne peut pas comprendre le présent et l'avenir sans se référer au passé. J'ai mentionné que le PNB a atteint plus de 5% en 2010 et que les résultats atteints par la Tunisie jusqu'à cette date étaient probants, selon des chiffres fiables. De plus, la Tunisie était le 1er pays d'Afrique en termes de productivité et classé 40è dans le monde, ce qui n'était pas mauvais du tout par rapport à d'autres pays en développement (Maroc, Algérie, Afrique du Sud, Ghana...) Depuis la Révolution, il y a eu chute vertigineuse, vu les événements exceptionnels survenus au lendemain de la Révolution et la crise mondiale. Si l'année 2010 reste une référence normale à toutes les statistiques ultérieures, il n'en demeure pas moins que d'énormes défaillances structurelles sont à l'origine de la situation actuelle de l'économie tunisienne. D'abord, une infrastructure défaillante surtout à l'intérieur du pays ; en l'absence de routes menant à ces régions lointaines, il ne faut pas s'attendre à des investissements étrangers. La création de cette infrastructure routière n'est pas chose facile ! Ensuite, nous avons une croissance qui n'est pas porteuse d'emplois : les 5% du PNB enregistrés sur les dix dernières années n'ont pas réussi à créer suffisamment de postes d'emplois, d'autant plus que l'éducation et la formation professionnelle ne sont pas adaptées au marché du travail et aux besoins économiques du pays. La troisième défaillance est en rapport avec le tissu économique tunisien qui est constitué à 80% de petites et moyennes entreprises qui souffrent d'énormes problèmes sur le plan de financement et de gestion. Bon nombre de ces PME sont victimes d'endettement excessif. La quatrième déficience réside dans l'absence de secteurs à forte densité de valeur ajoutée. Pour ne citer qu'un seul exemple, notre secteur touristique est essentiellement saisonnier, donc à faible valeur ajoutée. Il faut dire que notre tourisme a fait plus de mal que de bien à notre économie, notamment sur le plan financier, en laissant aux banques d'énormes déficits. Quelles solutions envisagez-vous donc pour cette situation ? Pour ce qui est des lacunes structurelles, ce n'est as du jour au lendemain qu'on peut résoudre le problème, il faut du temps pour mettre en place l'infrastructure nécessaire (réseau routier desservant toute les régions, réexamen du système éducatif, reconsidération du secteur touristique...). Cela s'étend pour plusieurs années et dépasse la bonne volonté de l'actuel gouvernement provisoire. Cependant, il est du devoir de toutes les forces de la société de mettre la main à la pâte pour trouver les solutions adéquates à tous les problèmes et ne pas trop compter sur un gouvernement de transition qui semble dépassé par cette situation épineuse. Le peuple tunisien aura encore à se patienter pour retrouver son équilibre et son bien-être. Comment faire, selon vous, pour retrouver cet équilibre ? Il y a sans doute des difficultés énormes à affronter par l'actuel gouvernement et ceux qui suivront, vu la crise financière dans le monde, notamment en Europe, qui dure depuis 2000. Bref, qu'on le veuille ou non, nous dépendons de l'étranger et nous sommes concernés par la mondialisation avec ses multiples facettes. L'une des premières solutions, c'est la reconstruction de la Tunisie, ce pays à l'histoire glorieuse qui jouit d'une position géopolitique stratégique et qui recèle de potentialités énormes. Il faudrait d'abord encourager la formation professionnelle, la recherche scientifique, l'apprentissage des langues étrangères. Il faudrait également aider les entreprises économiques en difficultés, relancer le tourisme sur de nouvelles bases. On devrait adopter des mesures d'austérité et agir sur les dépenses publiques et investir dans l'économie de l'immatériel... Quelle est l'attitude des Américains vis-à-vis de la Tunisie de l'après-révolution et à quoi s'attendent-ils au juste ? D'après les rencontres que j'ai effectuées avec les Américains, j'ai saisi qu'ils sont énormément intéressés à ce qui s'est passé et se passe actuellement en Tunisie. Ils sont sur le qui-vive et veulent savoir où va aboutir cette phase transitoire. Ils m'ont exprimé leur désir de revoir la Tunisie reconstruite de nouveau avec une économie forte et stable. Politiquement, ils ont besoin d'une vision claire de l'avenir sur la base de laquelle ils vont déterminer leurs relations avec notre pays. Ils sont contre tout régime extrémiste, de gauche ou de droite et veulent d'un Etat modéré. De plus, ils souhaitent voir bientôt un calendrier qui fixe les dates butoir pour les élections, la nouvelle constitution, etc. Et puis, ils préfèrent voir la stabilité dans la vie économique, sociale, fiscale..., ce qui les incite à venir investir en Tunisie. Tant qu'il n'y a pas de vision stable et claire de l'avenir, les Américains seront découragés.