J'ai suivi l'autre soir, sur la chaîne de Télévision Tunis 1, l'interview de M. Moncef Marzouki, Président de la République provisoire, sur l'affaire du lynchage, qui a coûté la vie à un citoyen tunisien à Tataouine. J'ai perçu, à travers le discours de M. Marzouki, un homme compatissant, sensible à la gravité de la situation du pays, condamnant, contrairement à d'autres hauts responsables, les dérives sécuritaires, rassembleur et humainement humain, comme il sied au premier des Tunisiens. J'ai senti en lui l'homme fidèle à son passé de défenseur des droits de l'Homme, qui criait haut et fort son indignation et son refus, face au laxisme et à la montée de la violence dans notre pays. Il a livré un message qui va dans le sens de la majorité des Tunisiens.
Je suis resté, cependant, perplexe devant sa passivité, car je n'ai pas compris pourquoi il s'est contenté uniquement de condamner les faits et n'a pas annoncé des mesures, que lui confère sa fonction de Président de la République, pour mettre un terme à ces agissements qu'il vient de dénoncer. L'état d'urgence ne lui donne-t-il pas la possibilité de dissoudre, par décret, ces fameux comités de défense de la révolution ? Son statut de premier homme du pays, ne lui donne-t-il pas le droit de demander des comptes au gouvernement ? Sa position de chef spirituel du parti CPR, qui est partie prenante dans ces comités et qui a participé à ce lynchage, ne lui permet-elle pas d'intervenir auprès de son parti, pour qu'il se démarque de cette mouvance ? Est-ce son appartenance à la Troïka et son alliance avec Ennahdha qui lui lient les mains, ou est-il, en effet, un Président d'apparat, démuni de prérogatives et incapable d'intervenir ?
Cette question, beaucoup de citoyens se la posent. Si notre Président provisoire était incapable de prendre des décisions correctives, parce que ses prérogatives actuelles ne lui permettraient pas, c'est une chose. On comprend et on compatit. Mais si des calculs politiques et stratégiques l'empêchaient d'intervenir, son comportement prêterait alors à confusion, car il y aurait une contradiction entre le verbe et l'action. D'un côté je suis pour le bien, et de l'autre, j'encourage indirectement le mal. Ceci nous rappellerait l'histoire de M. Jekyll et M. Hyde, un personnage de fiction créé par Robert Louis Stevenson en 1886, qui est devenu un concept central dans la culture mondiale entre le bien et le mal. M. Jekyll, un philanthrope obsédé par sa double personnalité, bon et généreux, laisse place, des fois, à un M. Hyde, calculateur et mauvais.
Ce soir là, à la télévision, avons-nous vu et entendu un président sincère, qui comme la majorité des Tunisiens s'élève contre ces agissements irresponsables, mais devant lesquels, il n'y peut rien, ou avons-nous vu et entendu un bon M. Jekyll, cachant un mauvais M. Hyde, qui connaissant bien où est le mal, s'obstine à fermer les yeux, par calcul politique ? Espérons qu'il s'agit du premier cas. Sinon, en qui allons nous avoir confiance ? Par Gaïed M'hamed Ancien fonctionnaire des Nations-Unies