Le cinéaste tunisien Nacer Khémir nous emmène, grâce à son nouvel opus, projeté en avant-première au Théâtre Municipal, dans le cadre des JCC, en voyage à la recherche d'un homme exceptionnel : Cheikh Mohieddine Ibn'Arbî Al Hakimi, théologien, métaphysicien, juriste, exégète et poète, né d'une noble lignée à Murcie (Andalousie) en Juillet 1165, et mort en novembre 1240 à Damas (Syrie). Après avoir enterré sa mère, Nacer Khémir( personne ou personnage), traînant une petite valise rouge , part à la demande de son père, pour rendre une « Amena » au Cheikh Mohieddine qu'il va tenter de connaître au cours de multiples étapes d'un long périple initiatique, parcourant de nombreux pays, rencontrant d'éminents professeurs, chercheurs et écrivains de différentes nationalités et confessions, tous marqués et passionnés par l'œuvre savante et abondante (846 ouvrages), du « Grand Maître » incontesté du soufisme. En effet, tous s'accordent à préciser que Ibn'Arbî est « l'auteur d'une œuvre théologique, mystique et métaphysique la plus considérable qu'aucun homme ait jamais réalisé ».
Nacer Khémir traverse mers et océans, déambule dans les rues des villes d'Occident et d'Orient, visite de magnifiques mosquées, des cimetières, des jardins paisibles aux fontaines cristallines, des souks bruyants. Mais ce voyage se fait dans un silence, un recueillement humble et respectueux pour mieux écouter, contempler, méditer, en fait, pour mieux s'abreuver à la parole des spécialistes de Ibn'Arbî, de ceux qui ont voué leurs recherches, leur temps, voire leur vie au décryptage de l'œuvre hermétique du penseur car seuls quelques « privilégiés » peuvent y accéder. Pendant trois heures, cette parole se déroule sereine, apaisante, par touches successives dans un souci pédagogique ; les réflexions et commentaires croisés des quatre coins du monde servent à mieux révéler l'universalité de la pensée soufie du « Cheikh El Akbar » qui, à l'âge de 31 ans, eut une « illumination ». Cette révélation fut le point de départ d'une écriture « en transe », une écriture dirigée par une main invisible, à l'origine de l'ensemble de son œuvre toute imprégnée d'Amour : Amour de Dieu, Amour de la vie, Amour de l'autre, Amour de la femme qu'il place sur un pied d'égalité avec l'homme et surtout Amour de soi pour pouvoir aimer autrui.
L'homme au manteau noir et à la valise rouge - bagage dérisoire, superflu, insignifiant en comparaison au savoir encyclopédique et à la richesse de la pensée de ce « grand visionnaire de tous les temps » - n'a-t-il pas accepté de partir après avoir coupé le cordon ombilical, sur les chemins du monde pour combler le vœu de son père, belle preuve d'amour filial ? Nacer Khémir nous offre une nouvelle approche cinématographique qui oscille, frontière très ténue entre réel et fiction tout comme l'ensemble de l'œuvre du Cheikh Mohieddine oscille entre immatériel et matériel. Film didactique, pédagogique. Film qui incite à la réflexion. Film qui titille. Film à partager entre étudiants, couples, parents, amis. Film pour mieux communiquer avec l'autre. Film enfin comme une réponse balsamique à nos douloureuses questions d'homme moderne déboussolé et inquiet. Merci Monsieur Nacer Khémir.