«L'œuvre accomplie par le Tribunal administratif l'habilite pour créer un véritable ordre juridictionnel », déclare Ridha Bettaïeb «Il faut prononcer le verdict dans des délais impartis et acceptables», précise Raoudha Mechichi «L'exécution des jugements sera incluse dans la Constitution », affirme Samir Taïeb Dans le contexte de la réorganisation des institutions publiques tunisiennes, des débats sont engagés sur le statut de la justice administrative et les moyens de la renforcer. Le Tribunal administratif, célèbre cette année son quarantième anniversaire en engageant un débat sur le renforcement de son indépendance et l'efficacité de la justice administrative, dans le cadre des nouvelles institutions. Un séminaire très suivi se tient depuis hier à Tunis et s'étalera sur deux jours. Spécialistes tunisiens du contentieux administratif, membres du Tribunal administratif, universitaires avocats, responsables politiques notamment des membres de l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), des responsables du Gouvernement et de l'Administration et des représentants de la société civile y prennent part. Un débat se déroule entre responsables tunisiens et experts européens. A l'ouverture des travaux, Ridha Bettaïeb, ministre de l'Investissement et de la Coopération internationale, n'a pas manqué de préciser que « la rencontre se déroule à un moment important avec la transition démocratique qui rime avec le renforcement du pouvoir juridictionnel qui doit être important et efficace ». Il rappelle que le Tribunal administratif par ses arrêts audacieux émis pendant la période de dictature a œuvré pour préserver les libertés individuelles. C'est le cas, à titre d'exemple des emplois fictifs. Malgré toutes les intimidations le Tribunal administratif a résisté. Il a été une fois de plus au rendez-vous lors des premières élections libres du 23 octobre, en y participant en tant que juge électoral. Quelle est la place réservée à la justice administrative dans la nouvelle Constitution ? Le ministre estime qu'elle doit avoir la place qu'il lui faut et qu'elle mérite. « L'œuvre accomplie par le Tribunal administratif l'habilite pour créer un véritable ordre juridictionnel pour la justice administrative », dit-il en ajoutant que le principe de séparation des pouvoirs est le vrai rempart qui évite toute immixtion. « L'indépendance de la justice administrative passe par les garanties statutaires. Il faut consacrer le principe de l'immunité du juge, l'amélioration de ses conditions de travail et la mise en place de l'instance indépendante. Une justice indépendante doit être efficace, plus rapide, plus simple et plus proche du justiciable. Le ministre précise qu'il « faut prendre des mesures pour que l'administration s'en tient aux jugements rendus». Raoudha Mechichi, Première présidente du Tribunal administratif a présenté un bilan de la justice administrative et ses perspectives. Elle considère que l'élaboration de la Constitution sera une source de consolidation de l'existence du Tribunal administratif. «C'est une deuxième naissance », dit-elle. Le Tribunal est en train d'observer et d'évaluer la première expérience et se prépare pour la deuxième étape. «Dans le cadre de cette réflexion, s'organise cet espace scientifique rassemblant, universitaires, enseignants, magistrats et membres de la Constituante, pour une vision claire consacrant l'indépendance de la justice administrative qui souffre d'insuffisances qui peuvent être surmontées par un système cohérent à tous les niveaux. Des textes de lois doivent être promulgués pour mettre sur pied des mécanismes clairs pour que les décisions du Tribunal administratif soient appliquées, chose qui doit être inscrite dans la Constitution», précise la Première présidente. Pour renforcer l'indépendance du magistrat, il faut dépasser les insuffisances constatées dans le recrutement et la formation et la formation continue. «La réforme de la justice administrative nécessite sa consolidation pour que les justiciables puissent disposer des documents des jugements redus dans des délais raisonnables. Il faut prononcer le verdict dans des délais impartis et acceptables, en recrutant davantage de magistrats tout en installant des tribunaux dans les régions, d'autant plus que le nombre de procès augmente de façon continuelle ». Samir Taïeb, membre de la Constituante informera l'assistance de la teneur des débats au sein de l'ANC à propos du Tribunal administratif. Il a commencé par rappeler le passé glorieux du Tribunal, sous le joug de la dictature. « Toutes les sensibilités politiques au sein de la Constituante témoignent d'une grande considération au Tribunal administratif », dit-il. Il précise que la commission de la justice juridictionnelle, administrative, financière et constitutionnelle, présidée par le Doyen Fadhel Moussa, a tenu 75 réunions, dont plusieurs séances d'audience de spécialistes, d'experts tunisiens et étrangers. Elle a inscrit le Tribunal Constitutionnel à la Constitution, « un tribunal conforme aux meilleurs critères internationaux », dit-il. La Révolution a bien été une Révolution pour la citoyenneté. «C'est la valeur suprême dans la nouvelle Constitution». Concernant la justice administrative Samir Taïeb, ajoute « qu'elle fait partie des composantes du pouvoir judiciaire. La commission a traité plusieurs questions concernant l'aspect structurel et fonctionnel à côté de l'exécution des jugements qui sera incluse dans la Constitution ». Il a évoqué le cas de citoyens entendus par la Commission qui disposent de jugements administratifs en leur faveur et qu'ils n'ont pas pu mettre en exécution depuis 10 ans. La non exécution des jugements affectera leur efficacité. «La constitutionnalisation de l'exécution des jugements est une Révolution. Celui qui empêchera l'exécution d'un jugement sera traduit en justice, conformément à la loi », dit Samir Taïeb. L'exécution des jugements est une revendication fondamentale des juges et des citoyens ordinaires. Par ailleurs, la juridiction se fera à deux niveaux. La décentralisation sera observée. D'autre part la Commission a opté pour la constitutionnalisation de la fonction consultative du Tribunal administratif. Patrick Berckmans, chef de section gouvernance, développement social et développement durable à la Délégation de l'Union européenne en Tunisie, a réitéré l'appui de l'Union «à la bonne gouvernance et à l'indépendance de la justice. La transition démocratique offre de nouvelles perspectives dans ce domaine», dit-il. Les travaux du séminaire se sont poursuivis à travers des tables rondes autour des thèmes tels que quel statut constitutionnel pour la Justice administrative ? Quelles garanties institutionnelles pour l'indépendance de la Justice administrative ? Comment renforcer le statut des magistrats administratifs tunisiens ? La deuxième journée sera consacrée, aujourd'hui à la fonction consultative du tribunal administratif, les pouvoirs du juge administratif et la décentralisation de la Justice administrative. Les organisateurs ont donné la promesse que, désormais les recommandations ne resteront pas lettre morte.