A la fin de « Fort Boyard », lorsque les concurrents percent l'énigme de ce jeu télévisé, une manne perchée au-dessus de leurs têtes déverse sous leurs yeux une pluie de pièces dorées dont ils doivent brasser le maximum en un minimum de temps. Ensuite, ils reçoivent en euros l'équivalent du poids des boyards ramassés. En fait, ce butin ne leur profite pas à eux mais à une association humanitaire ou caritative dont ils sont membres ou dont ils épousent et défendent la cause. Chez nous, dans leur rapport à l'argent de l'Etat, les institutions dirigeantes ne semblent retenir de l'esprit « Fort Boyard » que la ruée sur le trésor ; quant à en faire bénéficier les plus nécessiteux, le plus souvent, l'idée ne leur en effleure pas même l'esprit. Appétits gargantuesques Lorsqu'on apprend que depuis la Révolution, le Chef de l'Etat touche un salaire mensuel de plus de 30.000 dinars et que la Présidence de la République vient de revendiquer une augmentation substantielle de son budget, on ne peut que regretter l'ère de Bourguiba pendant laquelle le « Combattant suprême » (« w madrak ») ne percevait durant tout son règne que 2000 dinars par mois ! La Révolution semble avoir aiguisé bien des appétits cupides : se sachant « provisoires », les vainqueurs des élections d'octobre 2011, ne veulent pas sortir les mains vides de cette période soi-disant transitoire. Le nombre des ministères a augmenté ainsi que celui des ministres, des conseillers et des secrétaires d'Etat. Ajoutez-y les membres de l'Assemblée Nationale Constituante dont chacun touche 5000 dinars mensuellement sans compter leurs primes et leurs fameux « divers ». Du temps de Ben Ali, les députés percevaient à peine la moitié de ce salaire ! On nous dit pourtant que l'Etat est menacé de banqueroute ; et l'on chicane sur les augmentations à consentir aux travailleurs et aux fonctionnaires. On souhaite que l'UGTT signe une trêve sociale d'une année ou deux. On emprunte à tous les pays et à tous les fonds internationaux. Mais en même temps, on ne compte pas opérer de compression sérieuse au niveau des portefeuilles ministériels. Il n'est plus question de réduire le nombre des ministères, mais de remaniement très partiel à la tête de certains départements. Pire ! La Troïka invite ses alliés les plus « affamés » à partager avec elle les postes de haute responsabilité. En d'autres termes, le Trésor de l'Etat aurait de nouvelles bouches gargantuesques à nourrir copieusement ! Pendant ce temps, d'autres mains sont tendues, d'autres bouches sont béantes dans l'espoir d'une obole ou d'une miette ! Que leur répondent nos dirigeants : patientez, patientez, patientez ! Attendez que les nouveaux Maîtres Légitimes du pays puisent à satiété dans les caisses de l'Etat ! Ne dit-on pas « Charité bien ordonnée commence par soi-même ! », nous vous promettons de vous laisser quelque chose dans un coin de la « caverne d'Ali Baba ». Mais si par malheur, et par inadvertance, nous ne tenons pas cette promesse, il vous restera toujours une chance du côté de la foire des biens confisqués : Ben Ali, lui, n'a pas tout dévalisé ! Les dindons de Fort Boyard Pensez-vous qu'il soit facile de lâcher une aubaine comme celle que la Révolution a offerte à ses détrousseurs : voilà pourquoi la période de transition traîne en durée. Pourquoi voulez-vous qu'un Constituant se presse de vous « écrire » le Destour, alors qu'en y allant à la vitesse d'un escargot, son compte bancaire se renfloue à la vitesse d'une fusée. En maintenant cette allure apathique, on garantit à ses crédits personnels et familiaux de s'éponger plus rapidement et plus facilement. On achève mieux le chantier de la villa à deux étages (et piscine, s'il le faut). On garnit plus vite les garde-robes et les coffres à bijoux ! On s'achète des costumes de Crésus et des cravates de nabab ! C'est la légitimité qui autorise ces délires concupiscents. « Je suis élu par le peuple donc je mets à sac les fonds de l'Etat. Je fais légitimement main basse sur les deniers publics pour m'embourgeoiser légitimement aux dépens des pauvres gens qui m'ont élu ! Tant pis pour eux s'ils ont cru que je vais leur céder ma place autour du festin ! Tant pis pour eux s'ils ont cru que je vais jouer à Ford Boyard avec eux !