Depuis toujours confiné dans les marges du cinéma, le film documentaire semble avoir retrouvé force et vigueur à la faveur du bouleversement de l'Histoire de la Tunisie qu'a été la « Révolution » du 17 Dècembre-14 Janvier. La seconde naissance du film documentaire Quantitativement, la production de films documentaires n'a jamais été aussi importante et si la Révolution en tant que thème et toile de fond a retenu l'attention de la majorité des cinéastes, cette vague de films documentaires a aussi rendu possible l'exploration de facettes du réel jusque-là inconnues du grand public. Généralement le fait de jeunes réalisateurs, cette réappropriation du réel est en passe de combler le manque patent dans le cinéma tunisien de démarches cinématographiques d'inspiration citoyenne où le souci esthétique se conjugue à la prise de risque et à la confrontation avec l'altérité au fondement du genre documentaire. Poursuivant avec la persévérance et la passion qu'on lui connaît, un travail inlassable de promotion du film documentaire entrepris dans la foulée du 14 Janvier à travers « Les caravanes du documentaire », Hichem Ben Ammar adossé à une équipe jeune et dynamique a fait le pari de donner naissance à un festival du film documentaire à Douz dont la deuxième édition s'est déroulée du 26 au 30 Décembre. Avec vingt films tunisiens, dix courts et dix longs, répartis en deux sections compétitives, les Douz doc Days constituent désormais le lieu idéal pour découvrir la production annuelle de films documentaires tunisiens. En dépit des disparités entre les deux sections, celle dédiée aux longs-métrages étant de loin la plus relevée avec au moins cinq films d'une très bonne teneur, cette seconde édition a de quoi rassurer quant au devenir du cinéma documentaire en Tunisie. L'engagement des jeunes cinéastes tunisiens pour la cause du réel est perceptible à travers l'énergie qui irrigue l'ensemble des films. Emouvants de sincérité, ces premiers balbutiements pour certains trahissent néanmoins des problèmes d'écriture, de dispositif imputables à une méconnaissance du genre documentaire, et de ses différentes approches sur lesquelles il est indispensable de se pencher. Une pédagogie s'impose mais elle devrait être constructive de manière à ne pas briser net cette dynamique salutaire pour le cinéma national. De la production du film documentaire au diagnostic du cinéma en Tunisie Le second défi consiste à pérenniser le genre documentaire en lui garantissant des ressources minimales pour sa production. Généralement autoproduits ou pris en charge par des sociétés de production dans la phase de post-production, les documentaires souffrent d'un manque patent de ressources auquel des solutions doivent être trouvées. L'enjeu ne se limite pas à être le réalisateur d'un film mais de construire une œuvre axée sur le cinéma documentaire. C'est le thème de la rencontre organisée le 29 Décembre en marge des Douz Doc days. Cette rencontre à laquelle ont pris part des réalisateurs de documentaires de différentes générations co-animée par Nicolas Féodoroff du FID de Marseille, a été l'occasion d'un débat par moments très passionné sur la production du film documentaire indépendant, débat qui s'est progressivement focalisé sur un état des lieux de la production du cinéma en Tunisie. Le cinéma indépendant ne revêt pas la même signification sous nos cieux que dans les pays où il a eu à se définir contre l'industrie, les grands studios et la massification. Cinéma essentiellement tributaire des subsides de l'Etat jusqu'à il y a encore quelques années, le cinéma tunisien s'est diversifié grâce à l'arrivée sur le marché de jeunes diplômés des écoles de cinéma et à la généralisation du numérique. Ce cinéma de la marge s'est défini contre le cinéma des aînés et en faisant le deuil des subventions du ministère. Films à petits budgets et à zéro budgets, de nouvelles économies du cinéma ont vu le jour animées par le seul désir de jeunes réalisateurs de faire des films et faisant fi de l'absence de moyens. Si l'autorité de tutelle a sa part de responsabilité de par sa frilosité à encourager de jeunes cinéastes (notamment sur des projets de longs-métrages), l'identification des causes du recul du cinéma tunisien ces quinze dernières années, a donné lieu à deux points de vue différents qui ont partagé l'auditoire. Une première thèse fait supporter la décrépitude de la cinématographie nationale au « Système » qui a instauré de par son clientélisme, une sorte de « médiocratie » en vertu de laquelle le « gâteau » s'est souvent trouvé partagé entre les mêmes. Ce point de vue s'est trouvé fortement contesté par les tenants de l'idée que ce « système » incriminé s'incarne dans des personnes et que celles-ci sont issues de la profession. S'il y a dysfonctionnement, ce n'est pas tant en raison du machiavélisme de l'institution que de logiques de pouvoir internes au champ du cinéma qui ont vu les mêmes réalisateurs et producteurs sévir en barrant l'entrée à des approches cinématographiques moins consensuelles. Loin de dédouaner le ministère, ce diagnostic restitue à nos yeux de manière plus fine, la complexité des enjeux et des luttes dans le champ de la culture dans un régime autoritaire. Quoique non dénué d'intérêt et compréhensible dans un contexte où le procès du passé s'impose, le débat initialement consacré à la production du cinéma documentaire aura été totalement éludé. Qu'à cela ne tienne, les films sont bien là et les Douz doc days en tant que plate-forme pour la diffusion du documentaire tunisien s'imposent désormais comme un rendez-vous incontournable pour tous les acteurs de la galaxie documentaire.