Le strapontin c'est ce siège d'appoint, pliable et sans accoudoir, fixé à l'extrême bout d'une rangée de fauteuils dans une salle de spectacles ou de réunions. Ce n'est certainement pas une place d'honneur, mais pour les retardataires, c'est mieux que rien du tout ! On n'en voit presque plus dans nos cinémas et nos théâtres. Il paraît en revanche qu'il en reste encore quelques spécimens dans le gouvernement de Hamadi Jebali lequel, hélas, peine toujours à trouver des « clients » pour les occuper. En Tunisie, on est pourtant habitué à voir les politiques se bousculer et s'entre-tuer pour les « sièges » libres ! Bizarre donc, qu'à l'occasion du remaniement ministériel attendu, notre premier ministre trouve du mal à pourvoir les places vacantes dans son futur gouvernement ! En tout cas, chaque parti ou groupe politique sollicité pour les prendre fait en ce moment la fine bouche, lorsqu'il n'exige pas à la place, les fauteuils de la première rangée ou carrément le trône suprême. L'opposition démocrate qui, au lendemain du départ de Ben Ali, avait accouru pour épauler Mohamed Ghannouchi, le dernier premier ministre du président déchu, est aujourd'hui intraitable sur la question de la formation du prochain gouvernement. Ennahdha a pourtant daigné renoncer à l'un des portefeuilles qui lui sont les plus chers en proposant le Ministère des Affaires Etrangères, c'est-à-dire celui de Rafiq Bouchlaka le gendre de Rached Ghannouchi, à Ahmed Néjib Chebbi. Ce dernier que l'on croyait jusque-là avide de pouvoir déclina l'offre et posa plus d'une condition au Cheikh ! Même les trônes chancellent ! Aujourd'hui, même Wafa, le minuscule parti d'Abderraouf Ayadi se détourne des strapontins de la Kasba, vise lui aussi très haut et cherche à imposer ses exigences pour faire partie de la prochaine équipe gouvernementale. L'Alliance démocratique de Mohamed Hamdi et Mehdi Ben Gharbia n'est pas non plus disposée à occuper les sièges de bout de rangées, inconfortables et très facilement éjectables. Ce sont pourtant les seules places qui restent, leur répond le Conseil de la Choura d'Ennahdha. Plus personne ne doit réclamer les fauteuils de luxe, strictement réservés aux membres de la famille régnante. Quant à Mustapha Ben Jaafar et Moncef Marzouki à qui l'on a déjà concédé les trônes respectifs de la Constituante et de la Présidence, ils n'ont qu'à se tenir à carreau pour ne pas se retrouver sur le carreau! Il est maintenant certain que leurs prestigieux sièges ne sont pas aussi solides qu'ils en ont l'air ! Au Bardo comme à Carthage, c'est strapontins pour tout le monde. A la Kasba, non plus, Hamadi Jbali n'est pas bien assis. Il n'y a qu'un trône véritable et il est installé du côté de Montplaisir, au « siège » d'Ennahdha. Tout autour, les fauteuils majestueux se multiplient qui annoncent peut-être une succession des moins pacifiques pour la direction du mouvement islamiste au pouvoir. Les rumeurs alarmantes répandues récemment (peut-être par des Nahdhaouis) sur la santé du Cheikh sont de nature à attiser les tensions existantes entre les héritiers virtuels. A ce propos, il n'est dit nulle part que le poste de vice-président d'Ennahdha, occupé actuellement par Abdelfattah Mourou, décuple les chances de ce dernier pour la succession de son Maître ! Qui sont les futurs guignols ? On répète à l'envi, ces derniers temps, que la solution ne réside pas dans l'attribution des « sièges » et que la situation du pays appelle à une révision de tous les choix de la Troïka en matière de gestion politique, économique et sociale de l'Etat ! Vendredi soir, Abdelwahab Héni, président fondateur du parti Majd, donnait 72 heures à Jebali pour annoncer la démission de son gouvernement actuel et pour en constituer un nouveau sous les auspices du Président de la République. Il faudrait alors qu'il n'y ait plus de strapontins ni de pantins dans la nouvelle équipe dirigeante. Mais le Parti de Rached Ghannouchi pourrait-il gouverner sans pantins et sans strapontins ? Le problème est là à notre avis : pour ne pas ressembler à un parti totalitaire, Ennahdha cherche à confectionner une démocratie de vitrine qui ne l'empêche pas néanmoins de se comporter en seul maître à bord. Encore faut-il aujourd'hui trouver les candidats que le rôle de guignol satisfait. Ennahdha se fait désormais chanter par les marionnettes qu'elle a elle-même fabriquées et longtemps manipulées. Mais qui dit que ce prétendu blocage dessert le parti islamiste qui aura montré sa bonne volonté et sa disposition à partager le pouvoir ? Il aura tout essayé auprès des démocrates et des modérés et ses alibis sont tout trouvés le jour où il attribuera les strapontins vacants à ses alliés salafistes et jihadistes. Le contexte est favorable, en ce moment, non seulement en raison du conflit au nord du Mali, et des menaces intégristes intérieures et extérieures, mais surtout à cause de ce désintérêt croissant vis-à-vis de la chose publique déploré chez une majorité de Tunisiens qui se laissent gagner par l'abattement et le dépit devant les jeux pervers des politiques. Reléguée au niveau du poulailler, donc à la galerie réservée au public modeste, cette majorité abandonne trônes, fauteuils et strapontins à leur monde. Le 14 janvier dernier, il y avait plus de badauds que de manifestants engagés. On peut même affirmer que les chaises des cafés de l'Avenue Bourguiba avaient accueilli plus de monde que les places « chaudes » de cette artère symbolique de Tunis. Le paysage politique tunisien est en train de donner naissance à une masse de plus en plus nombreuse de « blasés » qui ont du mal à se « placer », ou qui renoncent même aux places payées de leurs propres poches ! A qui profite cette démission ? Certainement pas à la nouvelle majorité silencieuse, hélas un peu peureuse aussi ! Heureusement qu'en Tunisie, il reste encore des voix qui s'élèvent du Nord au Sud pour dénoncer la comédie des « chaises » jouée par les partis au pouvoir et dans les instances les plus influentes de l'Etat. Le pays en a marre des « assis », et il veut rester debout !