« Amour » est le film qui a permis à Haneke d'être consacré réalisateur de l'année grâce à la pléthore de prix glanés ça et là dans les manifestations les plus en vue consacrées au cinéma. Avec « Amour », le réalisateur autrichien continue son travail inlassable de chirurgie des âmes. La confrontation avec la mort est dans « Amour » sans détour. Un couple d'octogénaires, plutôt bien portant voit son quotidien bouleversé suite à la maladie de l'épouse devenue dépendante puis impotente. Par Amour et fidélité à une promesse faite à sa femme de ne pas la renvoyer à l'hôpital, le mari prend à bras le corps la maladie jusqu'au jour où meurtri par le spectacle de la déchéance de son épouse il décide d'en abréger les souffrances en la tuant. Haneke creuse dans « Amour » le thème de l'amour confronté à l'inéluctabilité de la mort. Le mal s'abat comme une fatalité dont l'issue certaine ; la mort ; ne peut être conjurée qu'à la faveur d'un acte suprême d'amour le meurtre. A travers son acte souverain, l'époux déjoue la fatalité en anticipant sur un processus à l'issue toute tracée. Ce faisant, Haneke oppose le libre arbitre à la transcendance du religieux. Ce credo travaille l'ensemble de l'œuvre du réalisateur autrichien. Ce qui peut prendre l'allure d'une fatalité est toujours la conséquence d'un acte responsable imputable à une faute originelle (« Caché » mais aussi « Le ruban blanc »). L'individu est toujours responsable et comptable de ses actes. La mécanique de Haneke est souvent démonstrative, son cinéma fonctionnant comme un décapant contre les apparences trompeuses du destin. Le tour de force d' « Amour »est de réussir à transfigurer l'abjection (le meurtre d'autrui) en manifestation démiurgique au cours de laquelle l'humain se substitue à son créateur par amour pour son prochain. « Amour » constitue une sorte d'aboutissement dans la trajectoire cinématographique de Haneke. Cinéaste de la maîtrise à travers la précision de son travail de mise en scène, ses plans composés au cordeau, son travail sur une temporalité lente, sa tendance à la dédramatisation, Haneke s'avère être paradoxalement situé entre le classicisme et la modernité au cinéma. Sa foi en l'individu se trouve quelque part démentie par le caractère verrouillé de son cinéma. A trop vouloir être démonstratif, le cinéaste autrichien asphyxie son spectateur en lui refusant tout espace de liberté dans ses films. On entre dans les films de Haneke avec le sentiment que l'on assistera impuissants à un cinéma sur lequel nous n'avons aucune emprise, aucun moyen de contestation, de remise en question. Le spectateur est en apnée durant deux heures sort probablement éclairé d'un film de Haneke mais sonné et frustré de ne pas pouvoir dialoguer avec son cinéma tant il semble massif. La modernité cinématographique si elle se revendique d'une rupture esthétique avec la codification extrême du cinéma classique relève aussi d'un projet émancipateur pour le spectateur. Une dimension politique à travers laquelle le récepteur d'un film conquiert des marges de liberté face à des films plus ouverts qui n'hésitent pas à afficher leurs béances et leurs incertitudes. A travers la volonté de puissance de sa mise en scène, le cinéma de Haneke aliène son spectateur en le condamnant à la passivité.