Hier, mercredi 13 mars, se sont déroulées les élections des représentants des étudiants aux Conseils scientifiques de leurs établissements universitaires respectifs. Pour donner une idée de l'ambiance dans laquelle ces scrutins eurent lieu, nous nous sommes entretenus avec un directeur d'institut supérieur, un enseignant syndicaliste et un étudiant de l'UGET. Concernant les représentants de l'UGTE (organisation estudiantine islamiste), nous n'avons pu prendre contact avec aucun d'eux à l'Institut Ibn Charaf où nos rencontres se sont tenues. Dieu sait pourtant que nous avons passé plusieurs heures à tenter d'établir un quelconque lien avec leurs représentants syndicaux. En vain, manifestement, ils ne voulaient pas donner de déclarations à la presse écrite. Taoufiq Aloui (Directeur de l'Institut Supérieur des Sciences Humaines de Tunis) Le Temps : Ce n'est pas une journée ordinaire pour vous, monsieur le Directeur. Comment vous y êtes-vous pris dans l'établissement en vue d'un déroulement pacifique de ces élections ? En effet, malgré toutes les précautions prises pour le bon déroulement de ce scrutin, la journée sera difficile à gérer. Mais je reste confiant car nous avons réuni toutes les conditions nécessaires à sa réussite et mis en place la logistique et le personnel conséquents pour contourner toute tentative de nature à perturber l'opération de vote. Les contrôles commencent à l'entrée de l'Institut ; aucun étudiant étranger à l'établissement n'est autorisé à y entrer. Nous nous sommes réunis avec les candidats et les avons appelés à éviter tout discours violent ou indécent. Nous les avons également assurés de la neutralité de l'administration et de l'égalité des chances garantie à tous les candidats à quelque organisation qu'ils appartiennent. D'autre part, toutes les associations et organisations de la société civile désireuses de superviser le déroulement démocratique et transparent des élections sont les bienvenues. Les médias le sont également. Bien que chef de l'établissement, je ne préside pas la commission chargée du suivi de ce scrutin. Le Conseil scientifique a confié cette tâche de manière démocratique à un collègue plus ancien, plus expérimenté et dont personne ne met en doute la neutralité. Le syndicat des enseignants et celui des ouvriers sont représentés au sein de cette même commission. En bref, de telles occasions sont idéales pour l'exercice effectif de la démocratie. Et c'est ainsi que je conçois l'épreuve d'aujourd'hui. Mais ce n'est pas une première pour vous ? En effet, l'année dernière les élections se sont déroulées de manière exemplaire. A témoin, les satisfecit qui nous sont parvenus des organisations indépendantes présentes au scrutin. Les étudiants des deux syndicats concurrents nous ont, à leur tour, félicités. Le lendemain des élections, c'est-à-dire après la proclamation des résultats, quelle est votre première réaction en tant que principal responsable de l'établissement ? Tout d'abord, nous félicitons les vainqueurs et appelons leurs adversaires à faire preuve de fair play. Ensuite, avec des élus, nous mettons l'accent sur la nécessité de représenter tous les étudiants sans aucune distinction partisane. C'est la plus importante et la plus urgente des recommandations. Les représentants des étudiants ont-ils réellement un pouvoir au sein du Conseil Scientifique ? Absolument ! Même si nos décisions sont prises à la majorité des voix, il arrive qu'en défendant leurs camarades, les étudiants mettent la pression sur les autres membres et modèrent leurs positions quand ils ne les infléchissent pas. Pensez-vous que l'organisation des élections à trois jours des vacances de Printemps soit une mesure judicieuse ? Pas du tout ! Elle affaiblit considérablement le taux de participation. Il vaut mieux la programmer au début du mois de mars. Zouhaïr Brahmiya (Professeur syndicaliste) Le Temps : Etiez-vous vous-même un membre actif sur le plan syndical durant vos études universitaires ? Non ; je faisais partie des sympathisants Ugetistes, mais guère activiste. C'était entre 1979 et 1983. A cette époque, comment se passaient les choses entre les organisations syndicales estudiantines ? Il y avait les structures syndicales de gauche et celles des étudiants destouriens. Mais les mouvances marxistes occupaient le devant de la scène et de loin étaient majoritaires par rapport aux représentants du Parti au pouvoir. En fait, la rupture était totale avec ces étudiants. Est-ce à dire que les rapports entre les deux organisations rivales étaient pacifiques ? A dire la vérité, la violence ne sévissait pas entre l'UGET et les étudiants destouriens. Mais plutôt avec le pouvoir et ses appareils répressifs qui se refusaient au dialogue avec les représentants de l'UGET. Je me rappelle le nombre impressionnant d'arrestations parmi les étudiants contestataires et de procès intentés contre eux achevés par des verdicts extrêmement sévères. Le régime de Bourguiba et celui de Ben Ali ont tout fait pour implanter des structures estudiantines influentes susceptibles de concurrencer et d'affaiblir l'UGET. Ils y ont réussi en partie à cause des problèmes structurels dont pâtissait l'organisation de gauche dans les années 1980. Malgré la résistance relative que l'UGET opposait aux étudiants du RCD, ces derniers ont pu accéder aux Conseils scientifiques des différents établissements universitaires. Qu'en était-il immédiatement après le 14 janvier 2011? Il est évident que la nouvelle conjoncture favorisée par la Révolution a profité à l'UGET. Après tout, l'organisation estudiantine militait aussi pour les mêmes causes politiques et sociales que le reste de la population qui s'est soulevée contre le régime corrompu de Ben Ali. Est-ce que les syndicats des enseignants universitaires orientent d'une manière ou d'une autre les activités ou les luttes des syndicats estudiantins ? Le rapprochement est indéniable, nous avons même organisé des réunions auxquelles les représentants des étudiants étaient invités. Nous défendons les mêmes causes également à propos des libertés d'expression et d'opinion et militons pour une formation universitaire solide, pour de meilleures conditions d'études et de recherche, pour un régime d'études adéquat. Nous les soutenons par ailleurs dans leurs manifestations culturelles auxquelles nous participons assez souvent. Comme vous voyez il existe entre nous et eux nombreux points de convergence, mais de là à influencer leurs décisions ou à porter atteinte à l'indépendance de leurs positions syndicales, c'est une ligne rouge qu'il ne nous est pas permis de franchir. En revanche, nous oeuvrons en commun pour combattre la violence et toutes les pratiques et les décisions antidémocratiques. La Révolution a affermi notre engagement pour toutes ces causes partagées. Houcine Ltifi (Etudiant en mastère de sociologie et développement- UGET) Le Temps : Il est quatorze heures. Comment se déroule le scrutin ? Dans d'excellentes conditions. L'organisation est irréprochable dans notre établissement. Nos les étudiants sont peu enclins à la violence. Et les événements de lundi dernier, alors ? C'était quoi? Certes, mais nous avons été provoqués par des éléments étrangers à l'institut et à l'Université ! Aujourd'hui, cette parenthèse violente est-elle fermée? Oui, mais nous avons eu peur pour certains de nos camarades qui étaient menacés dans leur vie et que nous dûmes cacher à la vue des extrémistes pendant quelques jours. A l'UGET, on dit que les étudiants sont politiquement engagés dans des partis de l'extrême gauche. Ce n'est pas vrai, je peux vous assurer que 90 % de nos syndicalistes sont indépendants. Les attitudes partisanes sont bannies de nos activités. Quelles sont les chances de vos candidats à ces élections? Ecoutez, durant les six ans que j'ai passés à l'Université, l'UGET n'a presque pas connu de revers dans les grandes facultés de Tunis. Seule la Faculté des Sciences peut-être considérée comme un bastion acquis à l'UGTE islamiste. A Sousse, à Kairouan et à Sfax, les rapports de forces actuels sont plus ou moins équilibrés entre UGET et UGTE. Avant, vous aviez affaire aux étudiants du RCD ; aujourd'hui vous affrontez les islamistes. Qu'est-ce qui différencie ces deux adversaires de l'UGET ? Le degré de violence. Avec les Islamistes, notre sang a coulé et nous nous attendons au pire ! Au Conseil scientifique, vous n'êtes pas que des figurants d'après ce qu'on dit ? C'est vrai, même si du point de vue des règlements internes des Conseils scientifiques, nous n'avons qu'un pouvoir consultatif. Nous militons actuellement pour qu'on nous reconnaisse à l'avenir un pouvoir décisionnel au sein de cette instance. Entretiens conduits par