Même le jour des grandes funérailles du martyr de la patrie Chokri Belaïd, les visages n'ont pas perdu leur rayonnement et l'ambiance était enthousiaste. La tristesse s'affichait sur un fond euphorique qui procédait de l'optimisme et de la confiance en l'avenir. Ces voix graves qui ont résonné dans le ciel nuageux de Tunis et ailleurs, dans les autres régions du pays, mugissaient avec fureur et dénonçaient les ravisseurs de la vie. Ces vagues humaines qui déferlaient sur les rues écrasaient sous leurs pieds cette haine grandissante qu'on venait de planter sur notre sol, la détermination des citoyennes et des citoyens à extirper depuis les racines cette broussaille pour défricher le terrain et libérer l'arbre de l'amour, celui qui nous a toujours abrités sous ses rameaux gigantesques et touffus, était grande. Harmonie orchestrale Ils sont grands dans leur malheur, car ils sont des amoureux de la vie qu'ils glorifient même dans la mort. L'assassinat de leur idole leur donne des ailes et les conforte encore plus dans leur position et leur conviction : le bien-fondé des principes et des valeurs qu'ils défendent et pour lesquels Chokri Belaïd s'est immolé n'est plus à démontrer. Leur force et leur authenticité dérangent bien sûr les ennemis de la liberté, de l'égalité et de la justice qui, se trouvant à cour d'arguments, ne pouvent riposter qu'au moyen de la violence, l'arme des faibles qui ne conçoivent la force qu'à travers leurs muscles, qu'à travers le prisme du fanatisme et ne la puisent pas dans la raison, le siège de la clairvoyance et de la pondération. Cet optimisme et cette confiance en soi on les a encore vus pendant les deux jours de commémoration du quarantième jour de cet assassinat politique lâche et sordide. L'ambiance était festive avec ces visages de plus en plus rayonnants et ces voix dont le timbre devient encore plus intense et plus mélodieux, les rangs des passionnés de la vie se resserrent de jour en jour et l'harmonie entre eux prend un aspect orchestral. Car ils ont enfin compris que, pour faire face à cette nouvelle dictature à caractère religieux qui est en train de s'installer, il ne fallait plus chanter en solo mais en chœur. Ils se représentent bien le grand danger qu'ils courent si jamais cette dictature est mise en place : elle les gouvernerait au nom du droit divin et les priverait de leurs libertés les plus élémentaires au nom du sacré dont la violation serait assimilée à un acte d'impiété dont le châtiment pourrait même coûter la vie aux « pécheurs ». Légitimité périmée Les Tunisiennes et les Tunisiens sont conscients du fait que l'acception des ennemis des droits de l'homme soit synonyme de capitulation, qu'elle soit comme s'ils avaient signé leur arrêt de mort et consenti à l'écoulement de davantage de sang, c'est pourquoi ils ont scandé haut et fort avec une voix assourdissante des slogans où ils invitaient le gouvernement à partir. Ils opposent à sa légitimité, périmée par le « chocotom », la leur, celle de la rue qui a été vérifiée depuis le jour des grandes funérailles et qui s'est renforcée encore plus par une légitimité internationale grâce à la présence de représentants de partis politiques et de la société civile venus des quatre coins du monde témoigner leur condamnation du crime politique et leur soutien aux valeurs universelles. Il ne s'agit pas là de forces étatiques étrangères offrant armes et munitions au régime pour mieux réprimer les masses révoltées contre la misère et l'injustice et museler les voix libres qui dénoncent ces crimes, ou bien des cheiks de l'obsession sexuelle qui font la promotion de l'excision et du port du voile par des fillettes. Il s'agit des émissaires le la paix, ils sont venus transmettre le message d'amour de leurs peuples respectifs à notre grand peuple, celui qui a consenti de grands sacrifices pour tracer le chemin du salut de l'humanité avec le sang et indiquer aux hommes la voie d'émancipation dans laquelle il vient d'ouvrir de grandes brèches. Les vraies Tunisiennes et les vrais Tunisiens de la vraie Tunisie, on les a vus ce weekend chanter la vie, cette vie qui exhale une volupté calme et une odeur agréable embaumant l'atmosphère leur est insufflée par l'esprit de leur grand martyr Chokri Belaïd dont ils réclamaient l'identification des assassins bien qu'ils aient laissé entendre, à travers leurs slogans, qu'ils en connaissaient bien l'identité personnelle et politique...