Sur une scène moins majestueuse que ce qu'on attendait, se sont entassés la famille, les amis ainsi que les militants du Front populaire, comme pour signifier que la mort du martyr les a rapprochés et a réuni la grande famille. Loin d'être le discours d'une simple veuve venue honorer la mémoire de son mari, nous avons eu affaire à une guerrière, une vraie militante aux propos parfois acerbes, une femme au regard défiant qui sait parler à la foule. «Nous ne voulons pas de ces étrangers venus avec une culture étrangère, des habits étrangers... levez vous jeunesse de mon pays», crie-t-elle à la foule enthousiaste et fervente. Et les joutes s'enchaînent et se ressemblent à peu près. Une inspiration révolutionnaire est palpable autant dans les discours que parmi l'immense marée humaine massée devant les orateurs. Quand Abdelmajid, le frère de Chokri Belaïd, décrète «Ennahdha finie» et poursuit en déclarant que «le gouvernement et sa légitimité ne valent pas mes souliers», la foule s'enflamme de nouveau et défend la légitimité de la rue contre celle du gouvernement actuel. Mettre en doute la légitimité du gouvernement en place, c'est là l'un des trois messages qu'ont bien voulu faire passer les organisateurs de cette première journée de commémoration du 40e jour du décès du secrétaire général du Parti des patriotes démocrates unifié, feu Chokri Belaïd. « C'est ici même que se trouve la légitimité, et nulle part ailleurs, ce peuple est capable de faire tomber le gouvernement, il ne pourra pas supporter encore plus la cherté de la vie, ni le bradage des richesses de ce pays, ni les milices qui pullulent ici et là et encore moins la tergiversation du pouvoir en place dans l'affaire de l'assassinat de Chokri Belaïd», lance le porte-parole du Front populaire Hamma Hammami, qui annonce par ailleurs que le Front assumera ses responsabilités en cas de poursuite de la politique du précédent gouvernement. Le deuxième message, c'est celui de l'affirmation de l'unité des «forces démocratiques» de la Tunisie afin de faire barrage au parti Ennahdha aux prochaines élections. Et la présence d'un certain nombre d'acteurs politiques sur le podium, comme Jaouhar Ben M'barek, coordinateur général du réseau Doustourna en témoigne. «Ils ne passeront pas, Chokri ! Ils partiront, Chokri! Ta mort a renforcé le Front populaire et la société civile croyant en ton projet a rejoint le Front», affirme-il aux présents. Même discours du côté de Fethi Rahoui, député du groupe démocratique au sein de l'Assemblée nationale constituante, qui annonce qu'un large front démocratique est en train de se créer. Le parti islamiste Ennahdha est omniprésent dans ces commémorations, à travers les slogans et les banderoles, mais aussi à travers un troisième message, celui de son implication directe dans la liquidation du militant Chokri Belaïd. D'ailleurs, Mohamed Jmour, secrétaire général adjoint du Parti des patriotes démocrates unifié, n'hésite pas à désigner «Montplaisir» (où se trouve le siège du parti Ennahdha) comme le lieu où le sort de Chokri Belaïd a véritablement été scellé. D'un autre côté, la militante palestinienne Leïla Khaled, membre du Front populaire de libération de la Palestine, a qualifié la mort de Chokri Belaïd de perte autant pour la Tunisie que pour la Palestine.