En Tunisie, pour signaler la séance pendant laquelle le bain maure est réservé aux femmes, on adopte plusieurs procédés, mais le plus commun consiste à étendre une grande serviette à l'entrée du hammam. Au milieu des années 70, lorsque nous débarquâmes à Tunis après le bac, nous ignorions ce code. Un jour, en compagnie d'un ami, nous nous rendîmes au bain à l'heure où justement c'était le tour des femmes de l'occuper. Nous vîmes la serviette, mais nous n'y prêtâmes guère attention et poussâmes la porte qui donnait sur le grand patio. Quelle ne fut pas notre surprise en nous trouvant au milieu d'un harem aux corps à moitié ou complètement dénudés. Passé les premières secondes de confusion, nous dûmes essuyer les insultes extrêmement grossières de la gérante qui nous poursuivit jusqu'à la rue en vociférant de plus en plus vulgairement son indignation. Cette vieille anecdote nous est revenue le jour où les membres de deux associations de la société civile se sont fait éconduire alors qu'ils voulaient assister à la sélection des candidatures à l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE). On allégua d'abord la confidentialité des données personnelles des candidats pour refuser l'entrée des observateurs ; puis on invoqua la volonté d'ouvrir la séance à un plus grand nombre d'associations plutôt qu'à quelques unes seulement ! Bref, une polémique fut soulevée qui, heureusement, se termina moins violemment que notre irruption dans le hammam des femmes. La morale de toute cette histoire, c'est que l'ANC et ses différentes commissions, notamment celles chargées du prochain scrutin, ne sont pas des « PRIVATE SERVICES », ni des repaires pour les magouilleurs et les conspirateurs. Les tabous et les « don't disturb » n'y ont pas non plus droit de cité. Si elles veulent réellement œuvrer pour des élections libres et propres, ces commissions doivent travailler dans la transparence la plus totale et, plutôt que de multiplier les voiles et les serrures, elles sont appelées à ouvrir toutes les portes et à accueillir tous les observateurs confirmés. La suspicion est légion, hélas, depuis que la commission créée à l'ANC pour enquêter sur les événements du 9 avril n'a plus donné signe de vie ! Là, ce fut vraiment et c'est encore le black-out total. Ce n'est pas une serviette qui bloquait l'entrée de cette commission, mais plutôt une chape de plomb et des verrous d'acier ! Attention, tête de mort en prime ! Fiefs et minarets Tout comme ces commissions solidement cadenassées, certaines mosquées tunisiennes échappent encore au contrôle du Ministère des Affaires Religieuses. On parle d'une centaine de lieux de prières désormais « salafisées » et dont les autorités n'osent pas s'approcher. Vendredi soir, M. Sadok Arfaoui, Conseiller de M. Noureddine Khadmi, avouait devant tous les Tunisiens l'impuissance du Ministère face aux extrémistes religieux qui squattent près de cent mosquées. C'était lors d'un débat télévisé sur la Nationale I. M. Arfaoui tint bon pour convaincre les téléspectateurs et l'animateur Walid Ben Abdallah –pour une fois très sceptique sur les réponses d'un officiel- que son département jouait pleinement son rôle, avec beaucoup de sagesse et dans le respect des droits de l'homme et des libertés (??). Cela fait un bon bout de temps qu'on nous corne les oreilles avec la même ritournelle ! D'ailleurs, nous nous posons pas mal de questions sur les chiffres officiels avancés au sujet des mosquées reconquises par l'Etat. Nous voudrions par ailleurs savoir quelles sont les « chasses gardées » pas encore libérées et qu'est-ce qui (ou qui) empêche le Ministère de les reprendre. Il y a lieu de se demander aussi si ce département veut vraiment les récupérer. Nous voilà donc face à des hors-la-loi qui instaurent des Etats dans l'Etat sans craindre personne, comme au far-west, comme dans les sociétés non civilisées, comme dans la jungle. Dieu sait, et un peu aussi Mme Chéhérazade Akacha, rédactrice en chef de Tanit Press, ce qui se passe de louche dans ces PRIVATE MOSQUES. Depuis des mois, maintenant, le Ministère des Affaires Religieuses dialogue et négocie avec les « colonisateurs », publie des communiqués et des manifestes, mais sur les « terres occupées » il n'a toujours pas de pouvoir ! C'est comme en Israël qui a l'appui indéfectible et inconditionnel des Américains. Mais chez nous, on ignore (lorsqu'on ne fait pas semblant d'ignorer) qui soutient « indéfectiblement et inconditionnellement » les squatters des PRIVATE MOSQUES ? Publicité embarrassante Dans sa dernière livraison, l'hebdomadaire « Akher Khabar » a publié une annonce électronique suspecte et deux numéros de téléphone appartenant à des recruteurs de jihadistes tunisiens pour la Syrie. Or, l'un des numéros cités s'est avéré être celui de Ridha Belhaj, du parti Attahrir. Cela mit hors de lui le leader salafiste qui menaça de porter plainte contre le journal. En effet, un numéro de portable ou de téléphone fixe est un bien privé qu'il est défendu d'ébruiter. PRIVATE NUMBER, quoi ! Mais alors qui a donné ce numéro aux annonceurs ? Est-ce pure coïncidence que l'avis publié porte sur le jihad, cause fondamentale que défend bec et ongles le parti Attahrir. Ce n'est pas M. Mohamed Ali Ben Hassine, chargé des relations publiques dans le même parti, qui nous démentira sur ce point puisqu'il criait haut et fort, vendredi soir, sur la Nationale I, sa conviction que combattre le régime de Bachar Al Assad est un devoir sacré du musulman authentique. N'est-ce pas sa façon, et à travers lui celle de Hezb Attahrir, d'inciter au Jihad ? Pourquoi alors tout ce bruit à propos d'un numéro de téléphone communiqué sur les journaux ! D'ailleurs, il nous serait paru tout à fait conséquent de la part de M. Mohamed Ali Ben Hassine s'il avait donné son numéro de téléphone à l'animateur du débat afin qu'il l'affiche à l'intention des téléspectateurs potentiellement jihadistes. Rien d'étonnant en effet, à ce qu'un chargé des « public relations » ait un « PUBLIC NUMBER » ! Inventions discriminatoires Dernier Private Service : l'émission « 9 heures du soir » diffusée sur Etounssiya lundi et jeudi. Apparemment, elle est interdite aux femmes. Les invités sont toujours des hommes. Le consultant de l'émission est invariablement un mâle. Même les guignols sont presque exclusivement de sexe masculin. Moez Ben Gharbiyya aurait-il quelque chose contre les femmes ? Nous ne le pensons pas, puisque dans les émissions antérieures qu'il animait, la gent féminine était rarement absente. Cette fois, le programme qui lui a échu est essentiellement politique. Et depuis qu'il le dirige, Moez a fini par conforter le préjugé selon lequel la politique et les débats qu'elle suscite ne sont pas une « affaire de femmes ». PRIVATE PROGRAM. Costard exigé à l'entrée. Pas de vêtements féminins dans le studio, à part ceux des irremplaçables figurantes ô combien nombreuses derrière les invités de Moez. A propos des costumes masculins, les fidèles du « 9 heures du soir » ont certainement remarqué l'étonnante ressemblance des complets portés par les hommes qui y participent. On dirait qu'ils les ont achetés tous à la même boutique, le même jour et au même prix. Normal donc que cette uniformité vestimentaire contribue à la monotonie de l'émission laquelle, avouons-le, perd de plus en plus d'intérêt. Sur La Nationale I et II, ce ne sont pas les tronches et les robes des femmes qu'on exclut ces derniers temps, mais les représentants de certains partis politiques. Nida Tounès est « partita non grata » dans plus d'un débat. Les hôtes bienvenus sont les personnalités du Gouvernement, les hommes d'Ennahdha et sporadiquement des représentants de petits partis ou d'associations peu dérangeants pour la direction des deux chaînes. On peut donc parler déjà d'un double PRIVATE PUBLIC CHANNEL ! Quelle invention bien tunisienne !