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Incursion dans un univers diaphane
Les salafistes de prédication en Tunisie
Publié dans La Presse de Tunisie le 22 - 12 - 2011

Que salafisme soit une énigme pour certains et une manière d'appréhender les choses pour d'autres est à bien des égards une réalité en Tunisie. Toutefois, il en est un face-à-face qui, quoique peu manifeste, oppose modernistes progressistes et salafistes traditionnalistes au sein de la même société. Si les premiers reprochent aux seconds un rigorisme asphyxiant, les derniers associent les premiers à un laxisme dévergondé, voire à un grave déracinement identitaire.
Il est connu que nous comptons en Tunisie deux tendances salafistes; celle dite «modérée» de prêche et de prédication, et celle des jihadistes ultraradicalistes qui refusent de s'exprimer ou de se prononcer sur quoi que ce soit, sauf peut-être sur leur rejet de la première branche qu'ils considèrent trop «molle» et peu salafiste. C'est par conséquent sur cette dernière tendance que nous avons concentré cette enquête, à travers laquelle nous avons essayé de déterminer qui sont ces salafistes et de comprendre ce qu'ils veulent, ce qu'ils pensent de la Tunisie d'aujourd'hui et à quoi ils aspirent. Aussi sommes-nous partis sur les routes à la rencontre de ceux qui prônent un retour aux sources pour retrouver l'islam des salaf (les pieux prédécesseurs) dans sa pureté.
Sur une colline donnant sur les carrières de M'dhilla, à Gsar Gafsa et à la mosquée Errahma à El Mourouj, nos interlocuteurs n'ont pas mâché leurs mots pour tantôt critiquer le déclin d'une nation en manque de foi, tantôt insister sur le caractère paisible de la majorité des salafistes tunisiens.
Samedi 16 heures. Sur la colline traversant l'ancien village de M'dhilla et sous un soleil progressant dans sa chute, le vent souffle fort et le froid est glacial. Mais Walid Dherifa s'en soucie peu pour venir à notre rencontre. Le jeune homme de 24 ans, en jeans, tunique et baskets, est fort convaincu que le salafisme est un mouvement sunnite revendiquant un retour à l'islam des origines. Pour lui, les enseignements du Coran et de la Sunna ne supportent aucune invention ou exégèse. El le vrai musulman n'a qu'à revenir à ces deux sources pour s'assurer d'être sur la bonne voie. Pour appuyer ses propos, notre interlocuteur commence par m'offrir un livre intitulé C'est le salafisme, comprenez-le du Palestinien Samir Mabhouh. «Ce livre vous permet de mieux comprendre le salafisme. Ainsi, vous pouvez puiser l'information à la source sans ajout ni réduction. D'ailleurs, nombreux sont ceux qui se permettent d'interpréter le texte religieux sans se référer aux connaisseurs et aux savants en la matière. Ce qui peut-être à l'origine de certaines déclinaisons par rapport aux enseignements du Coran et de la Sunna. L'Islam dénonce, en effet, toutes sortes de violence et appelle à la tolérance et à la cohabitation pacifique. Tout autant que le Prophète était à la fois le plus austère, le plus puritain et le plus indulgent. Le salafisme n'est pas un parti. Tout homme qui croit en Dieu et en son Prophète Mohamed est un salafiste, sauf que le degré de croyance et d'attachement aux enseignements du Coran et de la Sunna varie d'une personne à l'autre. Personnellement, j'ai fait des études de tourisme, j'ai tout essayé pour finalement choisir mon chemin tout en respectant le choix des autres», affirme notre jeune interlocuteur.
Salafistes de prédication et salafistes djihadistes
S'attardant sur les deux courants salafistes, à savoir le salafisme de prédication (une tendance salafiste modérée) et le salafisme jihadiste (une mouvance qui fait du jihad le cœur de son activité), le jeune homme observe que toute mouvance cherchant à imposer un régime musulman par une action violente et révolutionnaire est vouée à l'échec. Il pense également que tout est question d'initiation et seules la purification et l'éducation mènent à régénérer la foi en la purifiant des «innovations» théologiques l'éloignant de la foi authentique. Ce point de vue est admis et consenti par cheikh Karim Melliti. Rencontré à Gsar Gafsa, cet homme barbu en tunique blanche, est en perpétuel mouvement. Il se déplace d'un village à l'autre pour donner des cours et des prêches. Pour lui, les différentes appellations relatives aux salafistes ne sont que l'œuvre des ennemis de l'islam qui cherchent à diviser les musulmans, afin de les affaiblir. «Les salafistes dénoncent toute sacralisation de médiateurs humains entre les croyants et leur Créateur et le principe de l'unicité divine les unit tous. On n'a qu'à revenir au corpus du hadith (paroles du Prophète) pour se prémunir contre toute intermédiation entre l'être et son Dieu. D'ailleurs, les interprétations humaines postérieures à la révélation de Mohamed sont, en grande partie, l'œuvre de certains orientalistes au service des Occidentaux et des ennemis de l'Islam. Elles n'ont fait que creuser le fossé entre les musulmans et leur religion, provoquant des superstitions loin d'être conformes au message divin. Par ailleurs, nous sommes innocents de toutes ces appellations, salafistes de prédication ou salafistes jihadistes, cela importe peu. Ce qui compte en premier est le fait d'avoir comme référence le Coran et la Sunna du Prophète Mohamed pour le bien de la nation», affirme notre interlocuteur.
Il faut néanmoins reconnaître que les salafistes jihadistes existent bel et bien en Tunisie et ont pour chef de file Al Khatib Al Idrissi, un cheikh de 54 ans, non voyant, installé à Sidi Bouzid. Avant de devenir homme phare de la mouvance salafiste en Tunisie, il a poursuivi des études en théologise en Arabie Saoudite. De retour au pays, l'homme a été très actif pour transmettre à bon nombre de jeunes Tunisiens les enseignements de sa mouvance salafiste. Puis, après avoir autorisé les opérations de Soliman, l'homme a été emprisonné en 2006. Aujourd'hui, comme le font remarquer mes interlocuteurs, l'homme continue à donner des cours de théologie aux intéressés dans sa demeure à Sidi Bouzid.
La dernière action des salafistes jihadistes en Tunisie remonte à il y a près d'un mois, lorsque des étudiants à la faculté de La Manouba ont organisé des manifestations revendiquant l'autorisation du port du niqab au sein des universités.
Salafistes et partialité
Tout comme les témoins de Gafsa, ceux rencontrés à la mosquée Errahma à El Mourouj (gouvernorat de Ben Arous), lieu de rencontre des salafistes les plus actifs dans la capitale, précisent que le salafisme rejette toute sorte de partialité, étant donné que cette dernière divise plus qu'elle n'unit et affaiblit plus qu'elle ne renforce. Ils insistent également sur la nécessité d'obéir à tout gouvernant, fût-il corrompu et autocratique, pour autant qu'il ne refuse pas de se dire musulman. «En se comportant de la sorte, on évite le pire des dommages, à savoir la fitna (atteinte portée à l'unité des croyants). Même quand le gouvernant dévie du bon chemin, on n'a qu'à le conseiller discrètement, afin d'éviter les conflits et d'assurer la cohésion sociale. La violence ne mène nulle part et tous les malentendus devront être résolus paisiblement, par le biais du dialogue et de la concertation entre musulmans. A ce stade, il suffit d'observer ce qu'ont enduré nos frères algériens, à cause de cette grave interférence entre le religieux et le politique. Il faut rester à l'écart des affaires politiques. Nous, à notre niveau, nous nous contentons de rappeler aux intéressés les enseignements du Coran, de la Sunna et des compagnons du Messager d'Allah. Et le koutteb (école au sein de la mosquée pour enseigner le Coran) que vous voyez sert à inculquer aux jeunes générations les préceptes dont il est question. En un mot, notre unique parti est le Coran et la Sunna», observe notre vis-à-vis, un cheikh de près de 40 ans ayant tenu à garder l'anonymat.
Salafistes et mixité
De M'dhilla à Tunis, en passant par Gsar Gafsa, tous les salafistes interviewés s'accordent sur un principe : non à la mixité. Ce jeune barbu rencontré à la mosquée Errahma souligne avoir quitté ses études à l'âge de 17 ans, parce qu'il ne supportait plus la mixité avec les filles. «J'ai choisi de sacrifier mes études pour conserver ma foi et je ne le regrette point. Après avoir quitté le collège, je me suis entièrement consacré à comprendre ma religion et après trois mois passés en Algérie pour des études théologiques, je sens une certaine progression du point de vue cognitif. On l'a déjà dit : le salafisme consiste à suivre le chemin du Prophète et des pieux prédécesseurs. Celui-ci revendique de se conformer et d'être fidèle à leurs principes. Nul doute de surcroît que l'un de leurs principes est de séparer les hommes des femmes. Mais qu'a-t-on gagné de cette mixité, à part l'impudeur, l'immoralité et le nivellement de nos valeurs ? Il suffit d'observer notre actualité pour en tirer des leçons. Cette crise de valeurs que traverse notre société est l'aboutissement des innovations humaines qu'on a apportées à notre texte sacré et le résultat d'une déclinaison par rapport aux enseignements de la Sunna. Ibn Messaoud l'a déjà dit : «Suivez le chemin et ne vous aventurez pas à innover, car il vous a déjà été tracé». On n'est pas contre le travail pour la femme, cela demeure néanmoins un choix personnel, mais qu'on applique les enseignements de notre religion en séparant les deux sexes. Cette femme dont nous plaidons la cause n'est-elle pas ma mère et la tienne, ma sœur et la sienne ? Allez-voir ce qui se passe dans les moyens de transport publics et les administrations, vous comprendrez le reste. Nous avons, cependant, la ferme conviction que l'on ne peut pas tout corriger du jour au lendemain. Il faudra du temps. Et la réforme de la société passe par la correction des individus par le biais de la daâwa (appel à la bonne conduite, conformément aux préceptes du Coran et de la Sunna), sans pour autant verser dans la violence», renchérit notre interlocuteur avec l'acquiescement de ses compagnons présents.
Salafistes et tourisme
Sur la question ayant trait à leur position par rapport aux touristes étrangers qui se rendent chaque année par centaines de milliers en Tunisie, qui portent bikinis et monokinis et qui boivent de l'alcool, tous pensent qu'il y a des choix à faire. Comme le fait de se contenter du tourisme culturel ou encore de se concentrer sur l'agriculture. «De quel tourisme parlez-vous ? De ces basses gammes qui viennent passer des vacances pour 150 ou 200 euros ? Qu'a-t-on gagné d'eux à part le manque de respect ? Y a-t-il des touristes en bikinis en Arabie Saoudite ? (Ici, il convient de préciser que la Tunisie n'a pas les mêmes moyens que l'Arabie Saoudite). On n'est pas contre le tourisme et les touristes. Mais ceux qui viennent chez nous n'ont qu'à nous respecter en prenant en considération nos spécificités religieuses et civilisationnelles. Sinon, notre pays ne manque pas d'alternatives. L'agriculture a de tout temps été l'atout majeur de notre économie, on peut y investir davantage pour doper les recettes de notre économie, sans trop se limiter aux recettes du tourisme», avance le cheikh.
Ce face-à-face qui dure
Qu'on le veuille ou non, ce face-à-face entre «chiens de faïence» opposant salafistes et modernistes progressistes dure toujours, quoique souvent atténué par les plus modérés des deux côtés. D'ailleurs, c'était après notre rencontre avec les salafistes de la mosquée Errahma, que Ridha et Moez, attablés sur la terrasse d'un café à Tunis, ont dévoilé ce qu'ils pensent à ce sujet. Moins emporté que le premier, Moez trouve que le salafisme est une manière de voir qui n'engage que ses adeptes et que les partisans de cette mouvance sont libres de vivre et de se comporter comme ils veulent, tant qu'ils respectent les lois et le code social en vigueur. «Je n'ai jamais eu de problèmes avec eux et il m'est déjà arrivé de communiquer avec certains d'entre eux. Ils ont leur propre vision des choses et j'ai la mienne. Et à chacun sa chimère, comme on dit», dit-il.
Ridha, lui, sympathise moins avec les salafistes. Il pense que leur discours est déjà dépassé par les évènements et ne peut, en aucun cas, s'adapter aux exigences de notre temps et de l'actualité internationale. «Ce qui me dérange le plus chez eux, c'est leur vision limitée et leur pensée étroite. Faudrait-il enterrer toutes les femmes pour qu'ils aient la paix ? De l'autre côté de la mer, le débat porte sur les sciences et la culture, alors que dans les sociétés arabes, on peine encore à nous débarrasser de nos divers complexes. Arrêtons ce genre de débats stériles et concentrons-nous sur les sciences et le progrès technologique afin d'accéder au rang des nations développées. Personnellement, je vais prochainement manifester pour les sciences et la physique, pour un système éducatif plus rigoureux. J'y crois avant toute autre chose», avance Ridha. N'est-ce pas à méditer ?


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