Des experts et spécialistes tunisiens de renom en droit, invités, hier, par un des principaux partis politiques de l'opposition, le mouvement « Nida Tounès », pour exprimer le projet de la nouvelle constitution tunisienne, ont trouvé le texte « obscur et comportant plusieurs lacunes et de nombreuses contradictions ». Il y a quelques jours, à l'occasion de sa publication le 22 avril sur le site WEB de l'Assemblée nationale constituante pour être apprécié par les citoyens tunisiens et par tous les intéressés, le président de l'Assemblée nationale constituante, Mustapha Ben Jâafar, avait qualifié ce projet de la nouvelle constitution tunisienne d'un des meilleurs textes du genre dans le monde. C'est dire que même si aucune partie ne veut l'admettre, les considérations politiques ont une grande part dans tous ces jugements, autant que dans la rédaction de la nouvelle constitution confiée, depuis plus d'un an et demi, à l'Assemblée nationale constituante. Limitation d'âge La constitution reflète des convictions politiques. Mais tout le problème est de savoir s'il s'agit de convictions partisanes servant des intérêts particuliers ou de convictions collectives servant l'intérêt général. La conférence débat organisée par Nida Tounès sur la nouvelle constitution s'est tenue, à Tunis, en présence d'une élite de conférenciers spécialistes en droit ainsi que des membres du bureau exécutif du parti ayant à leur tête son président, Béji Caïd Essebsi, qui vient d'annoncer officiellement son intention de se présenter aux prochaines élections présidentielles. Or, le projet de la nouvelle constitution limite l'âge du candidat aux élections présidentielles au maximum à 75 ans, alors que Béji Caid Essebsi a dépassé les 85 ans. Aussi, autant le président de la conférence, le bâtonnier Lazhar Karoui Chebbi, que les trois principaux conférenciers, les professeurs de droit Rafâa Ben Achour, Farhat Horchani et Mouna Karim Dridi, ont critiqué cette limitation de l'âge d'éligibilité à la présidence de la république à 75 ans au maximum. Ils ont noté que sur 135 constitutions en vigueur dans le monde, seules huit d'entre elles limitent l'âge maximum du candidat à la présidence de la république et il se trouve que ce sont les constitutions de 7 Etats d'Afrique noire subsaharienne en plus de celle du Tadjikistan. Ils ont signalé l'exemple de l'Italie qui vient de reconduire à la magistrature suprême le président sortant âgé de 87 ans pour un nouveau mandat de 5 ans. Défauts majeurs Donnant le ton, le bâtonnier Lazhar Karoui Chebbi a critiqué le grand retard mis par l'Assemblée nationale constituante dans la rédaction de la constitution, alors que le décret du 4 septembre 2011 relatif à la convocation du peuple à l'élection de la Constituante lui a accordé un an pour s'acquitter de cette tâche. Ce délai a été dépassé, a-t-il dit, ce qui a provoqué diverses réactions de mécontentement chez les hommes de droit ainsi que chez les hommes politiques. Le professeur Rafâa Ben Achour a rejeté comme inconvenant le communiqué du président de l'Assemblée constituante menaçant de poursuites judiciaires ceux qui s'aviseraient à critiquer le projet de la nouvelle constitution, estimant qu'il s'agit là de procédés qu'on croyait à jamais révolus. Il s'est étendu sur le fait que le projet de la nouvelle constitution fait beaucoup de renvois aux lois, c'est-à-dire qu'il se contente des généralités et laisse aux lois le soin de réglementer les détails et de cette façon, il laisse ces détails à la discrétion du législateur comme la durée de la garde à vue ou de la détention préventive. Cependant, des commentateurs nous ont indiqué qu'une constitution ne peut pas entrer dans les détails, sans trahir son esprit. Ces renvois aux lois sont spécialement graves, en l'absence d'une Cour constitutionnelle chargée de juger de la constitutionnalité des lois, a-t-il dit, notant que le texte de la nouvelle constitution est long et comporte plus de 139 articles. Comme exemple de renvoi, il a signalé, entre autres, l'article 15 qui stipule qu'outre l'armée et les forces de sécurité intérieure, l'Etat mais l'Etat seul, peut, en vertu de la loi, créer d'autres formations militaires ou paramilitaires d'intérêt public. Il a noté qu'il est difficile de préciser dans ce cas le domaine d'application de l'intérêt public. Sur un autre plan, le même conférencier a estimé que le régime politique consacré par le projet de la nouvelle constitution est, en réalité, le régime parlementaire et non pas un régime mixte, comme on le prétend, même si le président de la république est élu au suffrage universel direct, mais ses attributions sont très limitées par rapport à celles du chef du gouvernement qui concentre entre ses mains toutes les rênes du pouvoir exécutif. Il y a même un déséquilibre entre les pouvoirs exécutif et législatif aux dépens du législatif. Contradictions Le professeur Horchani a axé son analyse sur les carences contenues, à son avis, dans le préambule de la constitution, spécialement l'absence de référence à l'engagement de la Tunisie à respecter les chartes et les lois internationales, ainsi que la contradiction dans l'énoncé concernant l'attachement aux valeurs universelles dans le respect des spécificités tunisiennes. Il y a , selon lui, contradiction entre le souci de l'attachement à l'universel d'une part et celui de l'attachement aux spécificités tunisiennes, d'autre part et encore faut-il préciser ce que sont les spécificités tunisiennes. S'agit-il, essentiellement, de l'Islam ?. Puis, dans le préambule, l'Islam est pris comme un fondement , ce qui veut dire qu'il a la prééminence sur le texte de la constitution. Mme Mouna Karim Dridi a paru plus radicale, contestant les nombreuses conditions se ramenant, selon elle, à de véritables dexcusions mises pour se présenter aux élections présidentielles. Une de ces conditions est que le candidat soit musulman. Or, a-t-elle dit, comment peut-on prouver qu'on est musulman. Le candidat doit être tunisien de naissance et avoir uniquement la nationalité tunisienne, alors que beaucoup de membres de la Constituante ont la double nationalité, a-t-elle dit, ajoutant qu'on aurait du penser à cette condition bien avant. Elle a estimé qu'il y a aussi une contradiction entre les dispositions prônant le choix d'un Etat civil et celles stipulant que l'Islam est la religion de l'Etat tunisien. Elle a rejeté aussi comme étant une forme d'exclusion injustifiable la limitation de l'âge maximum du candidat aux élections présidentielles à 75 ans.