Par Mustapha FARHANI (Conseiller auprès de la Direction générale de la caisse nationale de sécurité sociale) « Toute personne, en tant que membre de la Société, a droit à la Sécurité Sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité, grâce à l'effort national et à la coopération internationale, compte tenu de l'organisation et des ressources de chaque pays. » Article 22 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, adoptée le 10 Décembre 1948 par l'Assemblée Générale de l'Organisation des Nations Unies L'individu, pendant son cycle de vie, doit nécessairement recevoir une assistance, voire une protection lui assurant les soins de santé d'une part, et lui garantissant, tant soit peu, des revenus de remplacement en cas de chômage d'autre part. L'individu a également besoin d'une assistance lorsque ses charges familiales excèdent ses gains. Tel est le but essentiel de la Sécurit é Sociale. L'évolution de la Sécurité Sociale est l'histoire du transfert graduel des responsabilités de la famille à des groupes plus vastes. Jadis, la famille comme forme de l'organisation sociale, était aidée en cas de malheur par les voisins, par les associations professionnelles ou par le propriétaire des terres en cas de vassalité. Ce système reposait plutôt sur des règles coutumières que sur des lois. En Europe, le rôle de la Communauté en matière de secours des pauvres ne fût établi, par voie de législation, qu'à partir du XVIème Siècle. Au XIXème Siècle, la charité fût largement sécularisée. Les Corporations du Moyen-Age furent remplacées par les Sociétés Mutuelles. Pendant la deuxième moitié du XIXème Siècle, les Services Publics, les chemins de fer et l'Armée avaient établi des systèmes de pension. Les employeurs industriels de l'époque, par analogie aux seigneurs médiévaux, furent rendus, à travers des Sociétés de secours, responsables des accidents du travail survenus à leurs ouvriers. Mais, compte tenu du développement de l'industrie, la législation sur les Sociétés de secours fût vite dépassée et les obligations imposées aux employeurs en cas d'accidents eurent été insuffisantes, voire même inefficaces. En cas de maladie, de chômage ou de vieillesse, la population urbaine avait recours aux services de « Secours aux pauvres », lesquels services demeuraient toujours insuffisants. C'est pour remédier à cette situation que furent organisées l'Assurance Sociale et l'Assistance Sociale, en tant que premières formes achevées de la Sécurité Sociale. 1- L'Assurance Sociale et l'Assistance Sociale, deux formes indépendantes de Sécurité Sociale : 1.1- l'Assurance Sociale : Les idées générales qui militèrent en faveur de la mise en place de l'Assurance Sociale furent d'une part, le désir des classes gouvernantes d'éliminer l'insécurité en tant que cause perturbatrice de paix sociale et d'autre part, l'application du principe de la contribution obligatoire tant de l'employeur que du travailleur au financement de l'Assurance Sociale. L'édiction, en 1881, en Allemagne d'une législation en matière sociale, était liée à la fondation, dix ans plus tôt, de l'Empire Bismarckien. La création des trois lois en matière d'Assurance Sociale contre la maladie en 1883, les accidents du travail en 1884 et la vieillesse et l'invalidité en 1889 s'expliquait par le fait que l'unification des diverses branches de l'Assurance Sociale s'avérait difficile et butait, en ce sens, contre un problème d'organisation presque insoluble. L'intérêt des employeurs, celui des syndicats et enfin celui des milliers de travailleurs empêchaient toute manœuvre dans le sens de cette unification. Durant la période qui se prolonge de 1885 à 1935, un arsenal de régimes d'Assurance Sociale se développa en Europe. Ces régimes furent inspirés essentiellement du système allemand. 1.2- l'Assistance Sociale : Tout comme l'Assurance Sociale, l4assistance Sociale résulte d'un sentiment de responsabilité publique envers le bien-être des individus et des classes non privilégiées. Mais contrairement à l'Assurance Sociale, elle rend des services d'une manière gratuite à tous ceux qui en ont besoin. Jusqu'en 1935, l'Assistance Sociale se manifestait en Europe sous forme de : - soins médicaux gratuits aux personnes nécessiteuses, - services spéciaux au profit des mères et des nourrissons, - repas scolaires, - octroi de pensions aux personnes âgées, aux aveugles et aux veuves, - assistance aux chômeurs, - et ce, dans la limite de la capacité fiscale de l'Etat. Il fallait attendre la période d'entre-deux-guerres pour voir apparaître pour la première fois le terme « Sécurité Sociale » ; c'était le 14 août 1935 aux Etats Unis d'Amérique à l'occasion de l'adoption du « Social Security Act » par le gouvernement Franklin D. Roosevelt dans le cadre du New Deal. Cette période, en raison de l'absence des recettes et de la diminution des cotisations (la crise de 1929, la stagflation, …), fût marquée par une baisse des prestations servies. Néanmoins, une éminente loi vit le jour en 1938. C'était la loi néo-zélandaise sur la Sécurité Sociale. Elle se basait sur la fusion des principes de l'assistance et de l'assurance et était financée par un impôt sur le revenu . 2- La Sécurité Sociale pendant la période post-guerre : La charte de l'Atlantique du 14 août 1941 qui proclamait les objectifs des Alliés, affirmait la volonté de Roosevelt et de Churchill d'établir des systèmes de Sécurité Sociale et ce, afin d'éviter le retour des crises économiques et sociales qui étaient la cause essentielle ayant déclenché la deuxième guerre mondiale. Dans le cadre de préparation de son programme de reconstitution post-guerre, la Grande Bretagne avait constitué, quelques mois auparavant, la fameuse commission Beveridge. Cette commission étaient chargée d'élaborer un plan d'organisation de tous les systèmes d'Assurance et d'Assistance Sociales. Le plan Beveridge, élaboré en 1942, se basait sur trois principes essentiels : - le principe de l'universalité : il fût question de passer de la logique de protection des seuls travailleurs à celle de la protection de tous les risques sociaux et de toute la population; - le principe de l'unité : une cotisation unique versée à un système unifié d'assurances nationales, dont la gestion fût confiée à l'administration publique, sous la responsabilité d'un ministère chargé de la Sécurité Sociale ; - le principe de l'intégration : un système qui intégrait l'assistance dans l'assurance. La recommandation de l'Organisation Internationale du Travail (O.I.T) sur « la garantie des moyens d'existence » et sur les soins médicaux (1944) attirèrent l'attention sur l'opportunité d'étendre la Sécurité Sociale à toute la population. Au cours des années suivantes, les principes fondamentaux de la Sécurité Sociale tels que l'élargissement du champs de la protection, l'amélioration de la qualité des services de prestations, …etc., reçurent des définitions et des délimitations plus précises. La déclaration de Philadelphie en 1944, à l'occasion de la 26ème session de la Conférence de l'O.I.T. stipulait : « C'est la liberté définie à l'article 5 de la Charte de l'Atlantique, libération du besoin, de la crainte du besoin, et surtout sécurité sociale aussi bien que sécurité nationale » (1) Aussi, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10 décembre 1948, parlait de Sécurité Sociale : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assure sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l'alimentation, l'habillement, le logement, les soins médicaux, ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d'invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance, par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. » (2) 3- Eléments de conclusion : L'expression « Sécurit é Sociale » n'est pas une notion exclusivement juridique. Elle est l'expression d'un programme qui doit disposer, pour son exécution, d'une législation qui définit en quelque sorte son fondement et sa raison d'être. Elle se propose de maintenir le bien-être à l'individu en cas de risque qui menace de le priver des moyens nécessaires à la reproduction de ce bien-être et qui lui inspire de l'inquiétude sur l'avenir. --------------- (1) Extrait du discours annoncé par M. Walter Nash, à l'époque, premier ministre adjoint de la Nouvelle-Zélande lors de l'ouverture de la 26ème session de la Conférence de l'O.I.T. (2) Article 25 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme