La revue britannique Granta vient de publier sa liste décennale de nouvelles pousses des lettres britanniques : 12 femmes et 8 hommes aux noms souvent imprononçables, car les Shakespeare et les Shelley de demain seront peut-être d'origines ghanéenne, grecque, bangladaise, canadienne ou croate… Elles s'appellent Nadifa Mohamed, Helen Oyeyemi, Taiye Selasi… Elles sont anglaises et africaines. Retenez leurs noms, car vous entendrez sans doute beaucoup parler d'elles dans les années qui viennent ! Elles sont les jeunes pousses de la littérature anglaise, révélées par la revue Granta, publiée à Londres. Celle-ci publie tous les dix ans sa liste d'auteurs émergents. Celle-ci compte vingt noms, vingt noms d'auteurs de moins de quarante ans, les auteurs les plus prometteurs de leur génération, si l'on en croit John Freeman, le rédacteur en chef de la revue londonienne qui consacre son numéro de printemps 2013 à la nouvelle littérature britannique. Granta a souvent vu juste ! C'est devenu une véritable tradition. Depuis trente ans, Granta publie sa liste décennale des auteurs susceptibles de marquer les lettres contemporaines. Une liste qui est attendue avec curiosité et impatience par les éditeurs d'outre-manche, car les écrivains, les journalistes et les universitaires qui participent à sa confection ont souvent vu juste. La toute première liste de Granta parue en 1983 avait révélé, entre autres, Martin Amis, Pat Barker, William Boyd, Kazuo Ishiguro, Ian Mc-Ewan, Salman Rushdie, Graham Swift… Peu connus du grand public à l'époque, ces auteurs continuent de dominer aujourd'hui encore les lettres anglaises. Ses listes subséquentes, parues en 1993 et 2003 respectivement, se sont -elles aussi révélées perspicaces en attirant l'attention sur notamment les Will Self, les Ben Okri, les Caryl Phillips, les Harry Kunzru, les Zadie Smith, les Monica Ali et autres Thirlwell. Des écritures excitantes La liste 2013, proclamée en avril, se distingue de ses précédents avatars, car elle compte pour la première fois plus d'écrivains femmes que d'hommes, 12 contre 6 en 1983 et 1993 et 8 en 2003. On assiste à une véritable féminisation de la littérature qui a été pendant longtemps la chasse gardée des hommes. Plus remarquable encore, le caractère véritablement cosmopolite de la liste ! La majorité des écrivains nés à l'étranger, enfants d'immigrés originaires des pays lointains comme le Pakistan, le Nigeria, la Hongrie, la Chine, l'Australie et la Jamaïque, même si les élus de Granta sont tous détenteurs d'un passeport britannique ou qu'ils sont en cours de naturalisation. Il s'agit après tout de la littérature britannique de demain ! Mais l'Angleterre est devenue, en raison de son histoire impériale, un lieu délicieusement cosmopolite. Sa littérature reflète cette diversité. La diversité n'était pas toutefois un critère de sélection, rappelle Freeman. « Nous voulions surtout découvrir des écritures excitantes, mais il se trouve que les meilleurs "raconteurs" d'histoire de la génération des 20-40 ans sont des hommes et femmes pour lesquels l'idée du foyer est loin d'être une notion simple », explique le rédacteur en chef de Granta. Cela pouvait difficilement être autrement, avec sur la liste 2013 trois auteurs d'origine africaine, un Chinois qui s'est mis à l'anglais seulement récemment, une romancière qui puise son inspiration dans le souvenir de la ferme de canne à sucre où elle a grandi dans le New South Wales en Australie, une Pakistanaise, une Bangladaise, un jeune Indien de la troisième génération vivant à Derbyshire. La légende veut que ce dernier n'eût jamais lu de roman jusqu'à l'âge de dix-huit ans lorsqu'il a acheté en attendant un vol à Heathrow Les enfants de minuit, de Salman Rushdie, et cela a totalement changé sa vie ! Cent -cinquante auteurs ont postulé pour faire partie de la prestigieuse liste de Granta. Ils devaient répondre à deux critères : être ressortissant britannique et avoir moins de quarante ans. Il fallait aussi avoir publié. Or comme souvent l'âge n'a rien à voir avec le nombre de livres publiés, la plus jeune des écrivains de la liste Granta de cette année est aussi celle qui a publié le plus. A 29 ans, Helen Oyeyemi, née au Nigeria qu'elle a quitté à l'âge de quatre ans pour venir s'installer en Angleterre, a déjà publié quatre romans. L'inspiration de son écriture magico-réaliste vient autant des contes africains que des récits gothiques européens dont Oyeyemi est une lectrice assidue. D'ailleurs, Oyeyemi n'est pas tout à fait inconnue du public français, presque tous ses romans ayant été traduits dans la langue de Voltaire et publiés par des éditeurs parisiens. Entre Knightbridge et Ghana Ces nouveaux écrivains qui viennent un peu du monde entier apportent à la littérature anglaise de nouveaux imaginaires et de nouveaux souffles. Leurs romans qui se déroulent rarement à Londres ou à Brighton, mettent en scène parfois des univers peu familiers du grand public britannique, peuplés d'hommes et de femmes tiraillés entre plusieurs mondes. C'est notamment le cas des personnages de Taiye Selasi qui vient de publier récemment son premier roman « Ghana must go », salué unanimement par la critique londonienne.