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«Les hautes valeurs ont triomphé, mais l'Université vit encore entre l'espoir et l'inquiétude !»
Habib Kazdaghli, après son acquittement dans l'affaire du Niqab
Publié dans Le Temps le 12 - 05 - 2013

Vendredi matin, lorsque nous nous rendîmes à La Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba, il s'y tenait un colloque original intitulé « Eau et sel », organisé par le Laboratoire de Recherches « Etudes maghrébines, francophones, comparées et Médiation culturelle ». Habib Kazdadaghli, le Doyen, dont le nom n'évoque désormais que la crise du niqab dans son établissement, prit la parole pour une brève intervention d'académicien et surtout d'humaniste préoccupé par l'avenir de la planète face à la rareté de l'eau.
C'est justement Habib Kazdaghli l'homme, que nous voulons approcher dans le présent entretien. Qui est-il ? Comment a-t-il vécu, avec son entourage immédiat, les différents moments du procès intenté contre lui? Quelles leçons de vie en a-t-il retenues ? Quel rapport a-t-il à la femme et au voile intégral ? Comment a-t-il réagi au décès de Mohamed Bakhti, l'un des principaux protagonistes de cette crise ? Après son acquittement, Habib Kazdaghli envisage-t-il de se constituer partie civile contre les deux jeunes plaignantes, condamnées à deux et à quatre mois de prison ? Projette-t-il d'immortaliser ce « procès des quatre saisons » dans un livre de témoignage et d'analyse historique ? Le verdict prononcé a-t-il perturbé les cours de fin d'année et le déroulement des examens de la première session ? Pour l'Université tunisienne, comment Kazdaghli perçoit-il cette relative victoire contre la percée salafiste ?
L'entretien qui suit brosse un portrait inédit de l'actuel Doyen de la Faculté des Lettres de la Manouba. Mais il ouvre le champ aussi à d'autres évaluations et à d'autres lectures de la crise du niqab à l'Université et dans la société tunisienne.
Le Temps : Habib Kazdaghli le Doyen a largement été médiatisé durant ces deux dernières années. Parlez-nous plutôt de l'homme que vous êtes, de votre parcours de vie avant cette crise autour du niqab.
Habib Kazdaghli : Je suis né en août 1955, à Hammamet, dans une famille modeste qui voue une espèce de culte pour l'école et le savoir. Ulcéré de n'avoir pas pu lui-même poursuivre ses études, mon père a juré de nous épargner son sort. Il était prêt à tout sacrifier pour les études de ses enfants. C'est pour elles seules qu'il consentait à s'endetter. Rien à ses yeux, ne devait nous détourner de l'école et des cours. Je me rappelle comment une fois il ne m'a plus adressé la parole après avoir appris que j'exerçais une activité saisonnière rémunérée. Prendre goût très tôt à l'argent empêchait, selon lui, de se concentrer sur les études et favorisait la tentation de les interrompre prématurément.
Comment la crise fut-elle vécue par vos proches et par votre entourage immédiat ?
Vous savez, cette crise a commencé une année avant le procès. A part un cercle extrêmement réduit d'amis et de collaborateurs, personne d'autre n'a été informé de ma première convocation à comparaître devant le tribunal. Nous ne voulions pas perturber les examens ni aggraver le risque d'une « année blanche » à la Faculté. Pendant toute cette période, ni les enseignants, ni les fonctionnaires, ni les ouvriers ne m'ont lâché. Il fallait être là, le jour de l'acquittement pour enregistrer les youyous de joie qui résonnaient à tous les coins de l'établissement. Dans ma famille aussi, j'ai bénéficié d'un soutien sans faille. A aucun moment, mon épouse et mes enfants n'ont douté de mon innocence. Ils savent d'instinct que je suis incapable de violenter quelqu'un, encore moins d'agresser une fille ou une femme.
Justement, quels rapports avez-vous à la femme d'une manière générale et avez-vous eu, par le passé, maille à partir avec une voilée ?
Personnellement, je reste très marqué par deux femmes : ma mère et ma grand-mère. La première est une femme endurante. L'ardeur à la tâche est une autre qualité par laquelle elle impressionne son entourage. Elle aussi a tout sacrifié pour nos études et très tôt, elle s'est défaite de ses préjugés sur la mixité. Sur la question de l'héritage, elle a, à sa manière, imposé la parité entre ses garçons et ses filles. Quant à ma grand-mère, elle était très forte de caractère et suscitait l'admiration autour d'elle pour le courage et l'abnégation dont elle faisait preuve en prenant seule la charge de ses enfants après le décès de feu grand-père. Pour ce qui est des femmes voilées dans mon entourage immédiat, je ne me rappelle pas avoir eu d'embrouille à ce sujet.
Et vous, comment les avez-vous vécues, ces deux années de stress et de violence ? Certes, vous arborez souvent une mine imperturbable. Est-ce à dire, pour autant, que vous n'avez faibli à aucun moment, que vous n'avez jamais été rongé par le doute ?
Non, je n'ai rien d'un surhomme. Ce n'est pas facile de vivre normalement avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête, car j'encourais tout de même une peine de cinq ans d'emprisonnement pour la prétendue gifle. Ce que je redoutais par-dessus tout dans mon procès, c'était l'instrumentalisation politique de la justice. Au début, et pendant des mois entiers, toute une cabale était obstinément menée par les dirigeants nahdhaouis contre ma personne. Cependant, je n'ai jamais douté de la justesse de ma cause. Il m'arrive de connaître des moments de trouble intérieur, mais dans cette affaire, je n'ai plus douté à partir du moment où j'ai décidé de débarrasser la crise de ses soubassements et de ses ramifications politiques et religieuses. Ni la politique ni la religion ne devaient imposer leurs diktats à l'institution universitaire. Je m'étais donc fixé cette priorité des priorités, cet objectif majeur ; dès lors je n'étais plus dans le doute, mais dans la certitude.
Mohamed Bakhti figure parmi les protagonistes de la crise et parmi vos détracteurs. Quelle fut votre réaction en apprenant son décès ?
J'ai immédiatement adressé un télégramme de condoléances à sa famille, et j'aurais voulu participer à ses obsèques. En fait, ce jeune homme est entré dans ma vie une année avant la crise du niqab à la Manouba. C'était au lendemain de la Révolution, après son évasion de prison. Blessé au cours de sa fuite, il fut soigné par mon épouse. Lorsqu'il se présenta à la Faculté pour se réinscrire, je l'ai reçu et après l'avoir reconnu, j'ai tout fait pour établir les ponts avec cet « enfant de la Révolution ». Nous avons eu à maintes reprises de longues discussions sur des sujets cruciaux. Mais pendant la crise du niqab, et en dépit de toutes les concessions que nous étions prêts à consentir aux étudiants salafistes, le défunt et ses compagnons opposèrent l'intransigeance et l'entêtement.
Quelles leçons de vie cette affaire vous a-t-elle finalement apprises ?
J'ai surtout appris que la foi en des valeurs nobles donne un sens à la vie. Vivre c'est défendre de hautes vertus ! Ma conviction s'est également renforcée à propos de l'amitié qui, pour moi, est avant tout partage de valeurs. C'est sur la base de cet idéal commun que des amis comme Habib Mellakh et Abdelhamid Larguech m'ont soutenu jusqu'au bout. Cependant, la crise qui a suscité un large élan de solidarité, m'a permis de nouer de nouvelles amitiés en Tunisie et à l'étranger.
Comptez-vous immortaliser cette crise dans l'un de vos prochains ouvrages ?
En effet, j'espère un jour écrire une page de l'histoire de cette Faculté, qui raconte en même temps et à sa façon, un épisode crucial de l'histoire tunisienne contemporaine. Nous avons déjà réuni trois tomes de coupures de presse et il existe sur la Toile plus de 150.000 articles sur l'affaire. Toute cette matière de départ me sera d'un grand secours dans la lecture de la crise et de ses origines, et aussi dans la mise en rapport de l'affaire avec l'avenir de la Tunisie. Il va sans dire que dans cet ouvrage, je défendrai l'esprit d'ouverture, de tolérance et de progrès qui a marqué la Tunisie à travers les siècles contre tous les projets sociétaux rétrogrades qu'on veut aujourd'hui lui imposer.
Maintenant que vous êtes acquitté, comment s'achève l'année universitaire dans votre établissement ?
Tout d'abord, je tiens à préciser que je ne compte pas me constituer partie civile contre les deux étudiantes à l'origine du procès. Ce n'est pas digne d'un éducateur, qui plus est placé à la tête d'une « grande famille » au sein de laquelle il est censé répandre l'esprit de concorde plutôt que celui de la haine. Pour ce qui est des examens, j'ai eu quelques craintes au début, mais nous en sommes à la cinquième journée de la session et tout se passe sans le moindre accroc. Preuve s'il en faut que quand il n'y a pas de provocation, la marche des cours se poursuit sereinement. Par ailleurs, nous devons cette fin d'année « paisible » à la fermeté et à l'attachement aux valeurs dont nous avons fait preuve durant la crise. Dans ce genre d'affaires, le laxisme et la banalisation sont les pires attitudes à adopter ! Mais en même temps, il faut favoriser le dialogue et rechercher les compromis honorables.
Nous avons commencé cet entretien en parlant de votre famille biologique. Qu'en est-il de l'autre famille que vous « présidez » à la Faculté et qui organise aujourd'hui un colloque à la portée hautement symbolique. « Eau et sel » c'est une expression imagée qui évoque chez nous les liens resserrés entre amis, voisins, collègues etc. ?
La crise du Niqab à la Faculté de la Manouba a effectivement permis de resserrer les liens entre les membres de notre grande famille. J'ai aussi découvert le courage et la solidité de l'engagement de nos intellectuelles tunisiennes dans la défense des libertés et des acquis progressistes du pays. Il m'est un devoir également de rendre hommage à toutes les organisations et associations de la société civile qui ont apporté un indéfectible soutien à notre cause. Autre satisfaction : la crise m'a détrompé sur la prétendue passivité des jeunes Tunisiens. Au contraire, leur regain d'intérêt pour la chose publique ne cesse de me surprendre agréablement. En bref, cette honorable sortie de crise, nous la devons justement à l'esprit de famille qui a prévalu à la faculté et dans la société. Ici, je veux dire à la Faculté, chacun de nous (indépendamment de sa fonction et de son grade professionnel) s'est senti utile dans le combat pour l'indépendance de l'Université et pour sa préservation contre l'hégémonie politique et / ou religieuse. Il n'empêche que nous restons encore partagés entre espoir et inquiétude !
Entretien conduit par Badreddine BEN HENDA


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