On se pose souvent la question : « … et si l'artiste était un psychanalyste inattendu et le psychanalyste un artiste par éclairs ? » Thouraya Ben Abla, psychiatre et psychothérapeute répond par le « jeu » d'Anna-Lise, son exposition thématique qui ouvre une porte à sa « nécessité intérieure » où son art devient un jeu et où son langage des couleurs et des formes nous interpelle et nous invite à cet échange dans « ce monde des mots qui crée le monde des choses ». • Suggestion, contemplation ou fabulation, quel est de ces trois mots, celui qui se approche le plus de votre itinéraire pictural ? Thouraya Ben Abla : les trois coexistent et ne s'excluent pas du tout ; peindre c'est tenter de peindre ce que l'on peindrait si l'on peignait, pour paraphraser Duras. On cherche, on exhume, on détruit, on contemple, on suggère et ça fabule… • Carl Gustav Jung disait que les couleurs expriment les principales fonctions psychiques chez l'homme : pensée, sentiment, intuition, sensation ; pourrait-on parler de ces couleurs qui représentent ces fonctions et leur impact sur votre peinture ? -Sur un fond jaune d'intuition, émerge le bleu de la pensée à laquelle s'associe le rouge des sentiments, tout cela orné d'une sensation verte. Mais peindre c'est provoquer la rencontre d'un signe et d'une intuition. Qu'importe que cela s'intitule le rouge est ma couleur, série noire…, orange, bleue… puisque la peinture ne tient que par la force du style, par la clairvoyance exercée dans le choix des solutions que la matérialité des choses induit : les graphes, les couleurs, les contours et détours que la lumière rendra visibles. • Jacques Lacan a cité par deux fois les vers de Louis Aragon puisés dans « le fou d'Elsa » … « je suis ce malheureux comparable aux miroirs qui peuvent réfléchir mais ne peuvent pas voir ». Pensez-vous qu'une œuvre soit le reflet de celui ou celle qui la crée ? -La peinture est une interrogation directe du langage : ce qui nous relie au monde ce qui nous fait dire et savoir qu'on existe. Je pose des questions, j'invente des réponses par le biais de ce qui peu à peu se précise en diverses thématiques ayant toutes le même objet : je suis ce que je peins, je ne peins pas ce que je suis. • Paul Valéry écrivait qu'une œuvre d'art devrait toujours nous apprendre que nous n'avions pas vu ce que nous avons vu. Vous peignez depuis une vingtaine d'années, admettez-vous qu'apprendre à voir est l'art le plus difficile ? -Tout à fait, « apprendre à voir est l'art le plus difficile », un peintre c'est quelqu'un qui mieux qu'un autre, sait donner à voir l'indiscernable, prodige de l'obscurité vaincue par la lumière. • Partagez vous l'idée d'Arthur Schopenhauer qui affirmait que l'homme ne peut espérer un soulagement qu'en s'adonnant à l'art ou bien d'après vous l'art est-il sublimation freudienne ? -Le plaisir esthétique, la consolation par l'art, l'enthousiasme artistique efface les peines de la vie selon Schopenhauer, ceci n'exclut pas la sublimation. Picasso disait : « la création plastique est seulement secondaire… ce qui compte, c'est le drame de l'acte lui-même, le moment où l'univers s'échappe pour rencontrer sa propre destruction » la création est ainsi secondaire Nous n'avons pas beaucoup parlé du « jeu » d'Anna-Lise, puisqu'un « bon dessin, vaut mieux qu'un long discours », ce qui vaut bien le détour. Ce que je peux dire après avoir vu l'exposition, c'est que je me retrouve sur les pages des écrits de La Comtesse de Ségur qui ont bercé mon enfance, me rappelant cette phrase d'Alain, lue dans « les Aventuriers du cœur » … « j'aime à supposer que l'œuvre d'art est celle qui fait le salut de l'âme au moins un petit instant » …merci pour cet instant de rêve… Sylvain Montéléone (Artiste peintre)