L'espace art Sadika ne se démobilise pas !... il ne désemplit pas. Il continue malgré la crise qu'on fait subir à l'art, ses activités de promotion de l'art et de la culture sur les côtes de Carthage alors que la rentabilité de ses activités n'est pas évidente. Non loin de La Marsa El Gharbia, ou même Gammarth qui semblent subir encore les méfaits d'un tourisme à peine convalescent. Malgré cette ambiance de tristesse et d'un immobilisme qui nous étreint, l'Espace art Sadika lance des opérations coup de poing (comme celle sur la tolérance avec l'ONU), et celle d'aujourd'hui, pour rompre l'isolement de la région en s'impliquant à fond dans l'art, la culture... et la résistance.
L'exposition qui nous est proposée chez Sadika est intitulée tout simplement « Peindre »... peindre sans fioritures, sans état d'âme et regroupe les travaux de neuf artistes peintres et sculpteurs, femmes et hommes tous impliqués dans ce qui les entoure et les interpelle.
L'organisatrice de l'événement, Leïla Selmaoui, la médiatrice culturelle de l'espace, a trouvé les mots justes pour définir le cadre dans lequel elle place son exposition.
Leïla dit : « Peindre, c'est vivre, penser et agir avec une prise de risque, surtout aujourd'hui ! Peindre aujourd'hui, c'est courir le risque d'être violenté surtout si l'on est une femme ou condamné à mort, par les salafistes et leurs commanditaires !
Peindre, aujourd'hui, dit Leïla, c'est dire toute la résistance que nous devons présenter à toutes les actions de négation de la liberté de peindre, de créer ou de vivre librement ! sans entraves !
En paraphrasant J.P.Sartre qui disait que le peuple français n'a jamais été aussi libre que sous l'occupation... aujourd'hui, Salmaoui pense que les créateurs tunisiens n'ont jamais été aussi libres que face à cette menace qui pèse sur eux et sur leur pays.
Peindre aujourd'hui, c'est résister à l'iconoclasme d'Al Abdelliya, à l'intolérance et à la bêtise rétrograde. Peindre semble dire Leïla Salmaoui... C'est résister en peignant ! Les choses ne peuvent pas être plus claires. Leïla a rassemblé, pour remplir son programme, des artistes engagés dans la lutte culturelle et sociale sans pour autant faire fonctionner la boîte à images de la propagande « réaliste socialiste ». Ils n'expriment qu'implicitement et qu'indirectement leur préoccupation sociale ou politique. Le champ de bataille proposé par les artistes ne rassemble pas des cavaliers en train de s'étriper, sabre au clair mais des artistes maniant des couleurs, des lignes et des compositions tout aussi pacifiques qu'ils peuvent l'être. Les figures qui naissent, lors de ces confrontations, sont pleines comme celles d'Amel Ben Hassine ou à peine suggérées comme celles de Harbaoui ou celles plus brutales de Leïla Salmaoui elle-même.
La peinture recouvre son droit de n'être que peinture, jeux de ligne et de couleurs dans « un certain ordre assemblé ». Harbaoui navigue entre ses aplats pour les faire rencontrer au centre de la toile en une sorte de relief modelant les formes en leur donnant une épaisseur figurale intense et symphonique.
Houda Ajili, plus calme dans ses compositions cherche l'équilibre dans son travail, cerne les formes qu'elle propose dans les tours plus froids mais réfléchis. Ses compositions sont élaborées et atteignant une complexité où elle semble dominer mieux qu'auparavant, son espace.
Leïla Salmaoui intensifie et ramasse ses aplats et les modèle en accentuant leur vigueur expressive. On entend dorénavant les cris qui émanent de ses gueules grandes ouvertes.
Thouraya Hammouda ne rechigne pas à jouer avec les pixels pour former ses formes et même va jusqu'à s'attaquer aux grandes surfaces en représentant son hammam avec ses femmes pixélisées mais toujours aussi languissantes.
Peut-être, faudrait-il que Thouraya dépasse les pixels pour aller vers la plénitude des formes et des volumes !
Nadia Zouari nous montre une sorte d'installation murale de 9 pièces où elle déploie des surfaces peintes en rouge écarlate où les aplats atteignent quelques fois le modelé à travers l'intégration de modules étoilés recyclés ou d'éclaboussures de matière projetées. Nadia, sérieusement systématique, nous interpelle et nous incite à réagir à ses rouges écarlates aveuglants de lumière.
Dominique Madard, très fine, nous offre des merveilles de petits tableaux assez expressifs à travers des couleurs rouge-briques ou même dorées.
Jellili Mohsen, seul sculpteur de l'exposition nous propose des sculptures par assemblage d'éléments recyclés en métal. Les assemblables sont, tantôt compliqués, tantôt simples. Deux assemblages ont attiré notre attention. Le premier, celui Donquichottesque est formé d'éléments hybrides assez monumentaux et agité de mouvements justement Donquichottesque qui nous rappellent le héros de Cervantès. Les matériaux utilisés par Jellili proviennent de rebus mais sont animés ici d'une autre vie. Le vélo tel que proposé par l'artiste dans cette exposition, est issu d'un assemblage très calme d'éléments simples voués à susciter l'expression de la sérénité et de la joie de nos enfants !
Nous pensons que Leïla Salmaoui a atteint son but, celui de montrer que notre tristesse peut être dépassée, aujourd'hui, par l'art et qu'elle ne peut jamais se transformer en détresse, mais plutôt en détermination d'en finir avec les causes qui l'ont rendue possible.