“Veni, vidi, vici”. Ce sont là les élans pour le moins belliqueux, de Rached Ghannouchi, à Sfax, à l'occasion de la célébration du 32ème anniversaire de la naissance d'Ennahdha. Le leader du mouvement est, en effet, persuadé qu'Ennahdha remportera les prochaines élections, celles d'après et celles d'après. Il inscrit, donc, son mouvement dans la légitimité historique, fort de 32 ans de lutte contre la dictature et contre ce qu'on appelle le « déni religieux » ; il l'inscrit aussi dans la pérennité puisque dans son esprit comme dans celui de ses frères d'armes, Ennahdha est partie pour la durée et pour une longue gouvernance puisque depuis les élections du 23 octobre elle a su asseoir et consolider son minutieux réseautage et s'allier les sympathies au sein des quartiers et des régions défavorisées. Ennahdha est, donc, déjà le parti-Etat. Le parti au pouvoir comme l'a affirmé son idéologue Lotfi Zitoun et, à l'instar de ce que faisaient le PSD puis le RCD (on finit toujours par imiter l'ennemi, en effet), le mouvement a une mainmise sur le gouvernement, contrôle les 90% des rouages de l'administration et bénéficie, avec ou sans le CPR et Ettakatol, d'une confortable majorité au sein de la Constituante. Est-ce à dire, cependant, qu'Ennahdha a pour lui la pérennité comme l'affirme Cheikh Rached Ghannouchi ? S'il a su placer son fauteuil dans le sens de l'Histoire, laquelle façonne, aujourd'hui, un nouvel ordre du monde arabo-musulman (qui ne consacre pas forcément le 6ème Califat, cher à Hamadi Jebali, mais qui tend à installer un grand Etat arabo-islamique, dont le Qatar serait le moteur), le mouvement Ennahdha aurait tout à gagner, à procéder à une « scientifique » introspection. Quelque part, dit-on, il a aussi dépité beaucoup parmi ses électeurs du 23 octobre, à cause des promesses non tenues, et, surtout, à la faveur de l'acuité dramatique qu'atteint la précarité dans les régions défavorisées et la recrudescence du chômage. On table sur 70.000 nouveaux diplômés du supérieur pour lesquels l'Etat est actuellement incapable de proposer des débouchés d'emploi. La situation socio-économique est, donc, problématique, difficile, et ce ne sont pas les crédits conditionnés du Qatar et de la Turquie – lesquels ne donnent rien pour rien – qui vont rééquilibrer le budget de l'Etat. Ennahdha, parti-Etat devrait avoir son mot à dire à ce niveau là. Les Tunisiens attendent des solutions contre l'insécurité, l'inflation et le nivellement social par le bas du fait de l'affaiblissement de la classe moyenne. Ils attendent des correctifs aux disparités régionales. En bref, ils ne peuvent plus vivre d'endoctrinement religieux, de vœux d'une vie meilleure dans l'au-delà, et de promesses et d'eau fraîche.