Récemment dans l'hebdomadaire « Réalités », Monsieur Ridha Lahmar a publié un article remarquable à propos de la « crise » du phosphate tunisien. Il y a quelques jours, Monsieur Houssine Abassi, secrétaire Général de l'U.G.T.T. , tout en réaffirmant que la Centrale Syndicale soutenait les revendications légitimes, se disait convaincu qu'elles ne peuvent être satisfaites par l'interruption de la production. Les problèmes méritent d'être rappelés brièvement pour permettre de suggérer –non pas des solutions ! – mais des pistes de réflexions. La crise La Compagnie des phosphates de Gafsa (C.P.G.) alimentait naguère le budget de l'Etat avec ses bénéfices. Actuellement, elle aurait accumulé environ 2000 MD de pertes durant les années 2011-2012. Sa production aurait été divisée par 4 en l'espace de 2 ans. Malgré les augmentations de salaires consenties, le recrutement de personnel et la régularisation de la situation de certains employés, un énorme mécontentement continue à se manifester sous forme de grèves, de « sit-in », de perturbations des transports, de revendications salariales diverses qui entravent non seulement l'extraction mais aussi la production et même le transport des phosphates. En conséquence, l'activité du groupe industriel chimique de Gabès a été profondément perturbée en raison d'approvisionnements très insuffisants. L'impossibilité d'honorer les engagements pris a entraîné la désaffection des clients qui ont été perdus, sinon pour toujours, mais au moins pour un laps de temps important : les contrats de livraison étant rarement signés pour quelques mois. De plus, les coûts de production ont beaucoup augmenté du fait des réévaluations des salaires et en raison du blocage, par les employés, de la voie ferrée qui a nécessité un transport par camion 5 fois plus onéreux. Ils ont donc fait diminuer la compétitivité des entreprises tunisiennes. Même la S.N.C.F.T. a lourdement pâti de cette situation. L'histoire Les causes de mécontentement de la population sont très anciennes. La Compagnie coloniale du Sfax-Gafsa n'a certainement pas pratiqué une politique « sociale » vis-à-vis de ses employés tunisiens. La Compagnie des Phosphates de Gafsa, qui lui a succédé, semble avoir commis des « erreurs » pendant des décennies. Elle ne semble pas avoir réinvesti, dans le bassin minier, une part suffisante de ses énormes bénéfices dont elle réservait la majeure partie au budget de l'Etat. Il aurait été souhaitable de développer dans la région des usines de transformation qui auraient évité de transporter, aux frais du contribuable tunisien, des montagnes de déchets qui polluent les environs de Sfax et de Gabès ainsi que le Golfe de Gabès. Elles auraient simultanément procuré des emplois à la population locale qui augmentait. Si une partie des bénéfices de la Compagnie avait permis de créer, dans la région, des projets économiques diversifiés, dans l'agriculture par exemple, le « bassin phosphatier » aurait été moins tributaire de ses minerais et la crise suivante aurait, peut-être, été évitée. Un drame majeur a eu lieu, dans les années 80, sans que le pays s'émeuve particulièrement. L'effondrement des prix sur le marché mondial a entraîné le licenciement de milliers de mineurs dont les familles se sont trouvées sans ressources. Toute l'économie de la région en a souffert. L'insurrection de 2008 plonge certainement ses racines dans la crise des années 80. De plus, à l'époque, sans analyser les raisons de cette révolte, on y a répondu par une répression sanglante. L'ordre a été rétabli mais pas la paix ! Les gouvernements issus de la « Révolution » ne se sont pas rendu compte que la situation y était explosive : ils avaient tant d'autres problèmes à gérer. Les « désordres » s'expliquent, au moins en partie, par le fait que le taux de chômage est de l'ordre de 40 % de la population active et que près de 30 % des jeunes diplômés de l'enseignement supérieur ne trouvent pas de travail localement. Cette insatisfaction « fermente » dans un contexte économique régional « morose », pour le moins. Pourtant, il faudrait éviter, à tout prix, de bloquer les activités de la Compagnie des Phosphates et il ne sert à rien, aujourd'hui, de dire qu'on n'a pas bien répondu, hier, aux attentes de la population. Quelques suggestions Il serait souhaitable de proposer un « échange ». En échange d'une reprise immédiate du travail et d'un retour rapide à la production antérieure, une commission, « pluri-ministérielle » (Industrie, transport, agriculture, environnement sont concernés), de haut niveau – le Gouverneur ne suffirait pas – présenterait un « Plan » appuyé par un échéancier crédible pluriannuel. Elle séjournerait dans la région le temps nécessaire à la rencontre, à l'écoute des populations des différents sites miniers. Il faudrait les convaincre de l'impérieuse nécessité de rétablir la production antérieure le plus rapidement possible. Surtout ne pas répondre par la « force », par la coercition ! Demander, d'abord, l'application de la loi ! Obtenir l'adhésion ! Puis, convaincre la population que ce n'est pas seulement dans l'intérêt du pays mais que c'est aussi dans son intérêt. Annoncer et commencer à réaliser immédiatement une modernisation des équipements vétustes, une réduction de la pollution, au moins atmosphérique, une réhabilitation d'un environnement dévasté, une nouvelle politique agricole s'appuyant sur des lacs collinaires même temporaires, sur l'introduction d'une flore africaine plus performante permettant de relancer l'élevage ovin, de constituer des réserves de fourrage, au moins : changer les « choses » et employer des gens immédiatement. En attendant, de nouvelles grandes installations industrielles, il faudrait financer, tout de suite, des réalisations, publiques : mise en défense de secteurs attaqués par l'érosion, par exemple et privées : émanant de la population. Elle se persuaderait ainsi que les « Dirigeants » l'écoutent. A-t-on prospecté sérieusement, dans toute la région, les nappes d'eau profonde ? L'utilisation de l'eau douce – manquant cruellement ! – et son évacuation, après « lavage » du minerai, ont-elles vraiment été « optimisées », d'une part, pour que son emploi soit aussi « économe » que possible, d'autre part, pour que son élimination ne soit pas polluante ? Dans cette région, l'énergie solaire : fabrication, installation, réparation, n'a-t-elle pas sa place ? L'aménagement du Parc National du Jebel Orbata ne peut-il pas employer pas mal de gens avant d'attirer de nombreux touristes ? A partir d'hôtels existants à Gafsa, à Tamaghza, et de maisons d'hôtes ou de gîtes ruraux à venir, l'afflux de visiteurs qu'on a connu à Chébika, on pourrait le voir venir à Sened (l'ancien) et à Sakiet, ou dans les monts de Redeyef à la recherche, par exemple, des derniers mouflons à manchette sauvages. «Le lézard rouge » et la vallée de l'Oued Selja ont toujours eu beaucoup de succès. Dans cette région, le « géotourisme » ainsi que le tourisme historique – les abris sous roches préhistoriques de Redeyef, de Moularès – devraient attirer beaucoup de curieux. Il semble qu'un tourisme « populaire », en chemin de fer, à bon marché, à partir de Sfax, soit tout à fait possible à mettre en œuvre. L'artisanat n'existe-t-il plus ? Naguère les tentures de Gafsa étaient recherchées. Des artistes renommés en dessinaient les « cartons ». Il faut sauver … le phosphate non pas seulement parce que c'est une ressource, une richesse nationale, mais aussi parce que les bénéfices que procure son exploitation doivent permettre de développer toute la région.