« J'aurais été le rencontrer même au Guatemala ». Il avait été partout pourvu qu'il rencontrât Béji Caïd Essebsi. Nous écrivions au Temps, que la rencontre des deux « Cheïkhs », l'un religieusement civil, l'autre civilement religieux devait nécessairement accoucher de quelque chose. L'interminable partie d'échecs entre les deux leaders supposait aussi qu'on restât sur l'égalité du moins dans l'élimination des pions. L'aile dure d'Ennahdha, l'honorable M.Ellouze en tête, rumine un dépit de parjure dont se serait rendu coupable leur leader qui, du coup cède du terrain. Celui-ci ne dit plus reconnaître sa jeunesse dans la fougue des Salafistes. Il règle leur compte aussi à ces parasites d'Ansar Al Chariaâ qu'il accuse de radicalisme religieux après leur avoir ( soit dit en passant) fait miroiter des merveilles rédemptrices et paradisiaques. Par ricochet, il se désolidarise du Djihadisme et ne pipe pas mot sur la légitimité électorale, abandonnant ainsi toute projection sur les Frères musulmans d'Egypte. Mais dans cette interview qui fera date, c'est paradoxalement Béji Caïd Essebsi qui aura fait planer son ombre et qui, quelque part aussi, parlait à travers les lèvres de Rached Ghannouchi. Celui-ci ne regrette donc pas son blitz à Paris et, décidément Paris vaut toujours bien une messe… Sans doute, Rached Ghannouchi a-t-il « gouverné » le pays tel un timonier illuminé avec des préceptes et aussi des recettes exhumées des tréfonds d'un Islam démocratique fantasmé parce que, structurellement, il n'a, en fait, jamais existé. Non que l'Islam ne porte pas les germes de la démocratie. Le message du Prophète est en effet d'une actualité égalitaire poignante. Mais ce sont les incantations autour d'une Chariaâ toujours confinée, par la faute des exégètes, dans des dogmes réducteurs et obscurantistes, qui ont fait que cette dichotomie était difficile à réaliser, donnant ainsi de bons prétextes à une islamophobie, elle aussi réductrice. Ce fut là ( cette gouvernance illuminée) l'erreur stratégique d'Ennahdha. Parce que, finalement, si les urnes l'a consacrée vainqueur ( et elle n'a rien volé), le 23 octobre 2011, elles se dressent aujourd'hui, comme un épouvantail à ses yeux. C'est là que la grogne a commencé à s'amplifier. Et, d'ailleurs, Rached Ghannouchi admet lui-même qu'il n'avait pas vu venir la métamorphose du paysage politique… Parce que justement Nida Tounès faisait irruption et, épousant les manœuvres tactiques de Béji Caïd Essebsi, le parti élargissait son audience et pactisait aussi avec d'autres au sein d'un large front d'interposition. Après les déclarations du leader d'Ennahdha, les Tunisiens sont plutôt divisés, entre ceux qui croient en les bonnes intentions de Rached Ghannoucbi et ceux qui n'en finissent pas de le diaboliser, peut-être même à tort. Ceux qui lui prêtent de bonnes intentions cherchent à positiver et font un constat réel : la scène politique est désormais bi-polaire avec Ennahdha d'un côté et Nida Tounès de l'autre. Ceux qui, en revanche prêtent de « mauvaises » intentions à Rached Ghannouchi vivent dans un scepticisme devenu épidermique. Une militante des Droits de l'Homme déclarait il y a quelque temps : « ce n'est pas grave qu'Ennahdha nous ait menti. Mais ce qui est grave c'est que nous ne puissions plus la croire ». Mais alors que faire ? Ne peut-on pas admettre que seuls les imbéciles ne changent pas d'avis ? Est-il réellement exclu que Rached Ghannouchi et Béji Caïd Essebsi soient désormais dans une alliance fusionnelle ? L'un et l'autre doivent comprendre que les problèmes du pays sont surtout d'ordre économique et social à cause justement de l'hérésie des politiques. Et pour finir M. Ghannouchi devrait bien se rattraper : pas tous les Tunisiens ouvrent le robinet et trouvent l'eau et appuient sur l'interrupteur et ont l'électricité.