Les agressions sexuelles en Tunisie n'ont pas manqué de marquer l'opinion publique, de briser les liens familiaux et d'affecter le statut et les droits humains de la femme. La Fédération internationale des droits de l'Homme en a dressé récemment, le bilan. Grâce à sa politique avant-gardiste, la Tunisie a été le premier pays arabo-musulman à s'être doté d'une législation qui protège la femme et l'émancipe des dogmes patriarcaux. Toutefois, entre les textes de loi et la réalité, le fossé demeure profond. Le fameux Code du Statut Personnel qui a garanti les droits de la femme, depuis sa promulgation en 1956, n'a pour autant pas protégé celle-ci contre les violences sexuelles. En l'absence d'une volonté politique sérieuse et d'un cadre législatif rigoureux, la femme est restée sujette à toutes sortes d'abus et de violences sexuelles. La question de la violence sexuelle demeure un tabou pendant bien longtemps. En finir avec la violence, particulièrement la violence sexuelle, à l'égard des femmes, en Tunisie, n'est point chose facile. Les contraintes sont d'ordre socioculturel, politique et législatif. Après avoir levé le voile sur cette réalité, des progrès en termes de législation et de pression politique réelle se font de plus en plus palpables. La politique de façade Il a fallu attendre jusqu'à 2010 pour que cette violation soit prise au sérieux. En effet, une enquête nationale sur les violences à l'encontre des Tunisiennes a été lancée. Les résultats annoncés étaient plus qu'alarmants. L'enquête parlait de 47% des femmes dont la tranche d'âge varie de 18 à 64 ans ayant subi des actes de violence une fois ou à maintes reprises. Cette violence revêt plusieurs formes. Elle peut être physique, psychologique ou encore sexuelle. Si la violence sexuelle occupe le dernier rang, soit 15.7%, le palmarès revient à la violence physique, 31.7% des femmes interrogées se disent victimes d'agressions physiques. La violence morale et psychologique occupe le second rang avec tout de même 28.9%. Ce qui revient à ce que plus du quart de la population féminine vit sous le joug du harcèlement psychologique. Ce qui est grave pour un pays qui se sent pionnier dans la défense des droits de la femme. En réalité, avec suffisamment de recul, les études menées ces dernières années par les associations qui militent pour l'égalité du genre, ont montré que ces lois ne servaient, en fait, pas à protéger la femme mais à véhiculer une image politique mensongère que l'ancien régime désirait propager à la communauté internationale. Une sorte de politique de façade qui cacherait une atroce réalité. Ces lois étaient un moyen pour gagner la sympathie de l'étranger, rien de plus. Pourtant, il existait bien certains signes révélateurs qui prouvaient que les autorités tunisiennes tentaient par tous les moyens d'étouffer les voix qui dénonçaient la situation réelle dans laquelle vit la femme tunisienne. Il suffit de citer l'interdiction de la parution d'un livre, fruit du travail de l'ATFD (Association tunisienne des femmes démocrates) en 1993 et qui avait pour sujet : la violence dont est victime la femme tunisienne. Une preuve irréfutable de la politique de façade qu'exerçaient les autorités. Membre de la FIDH, l'ATFD et bien d'autres associations féminines tunisiennes et des ONG ont travaillé d'arrache- pied pour mettre de la pression sur le pouvoir en place afin de reconnaître les violences sexuelles dont est victime la femme et de bouger pour faire respecter réellement les droits de la femme. Le résultat ne s'est pas fait attendre. En 2007, cette problématique force la porte du discours politique et devient l'une des priorités et l'un des malaises sociaux que l'on s'obstinait à occulter. Opacité législative et faiblesse des textes de lois Il va sans dire que parmi les raisons qui ont alimenté la persistance des violences à l'égard des femmes dans un pays doté d'un code assez robuste et pionnier à l'époque, outre une volonté politique molle, c'est la qualité des textes de loi. Celle-ci s'est avérée assez faible et pas assez rigoureuse, sachant que le contexte est prédominé par une société patriarcale où la ségrégation sexuelle et la discrimination basée sur le genre sont monnaie courante. Certes, toute violence conjugale encourt des peines selon le texte du Code pénal tunisien. Certes, plusieurs types de crimes sexuels, tels que le harcèlement sexuel (Art 226 bis du Code pénal) ou encore le crime du viol (Art. 227) sont sanctionnés. Néanmoins, ces textes de loi ne font pas partie d'une stratégie nationale politique et législative qui vise à en finir avec tous les types de violence envers la femme. Par ailleurs, il est important de noter que le législateur tunisien n'a point mentionné les autres formes de violence dont est victime la femme tunisienne. On peut citer, à titre d'exemple la violence économique et la violence non physique. En outre, le législateur tunisien ne situe pas ces actes de violences d'ordre sexuel, qu'ils aient eu lieu dans l'espace conjugal ou dans l'espace public, dans le rang qui leur est consacré dans les standards internationaux. La législation tunisienne, dans certains de ces textes, est imprégnée de l'héritage culturel et des dogmes patriarcaux. L'article 13 du CSP et l'article 227 du Code pénal en sont la meilleure preuve. Dans l'espace conjugal, il est important de citer l'exemple du viol conjugal. Une violence sexuelle qui a toujours été considérée comme un tabou. Pour ce type de violence, ce crime n'est pas considéré comme tel. Le législateur l'a tout bonnement ignoré. Pis encore, à travers l'article 13 du CSP, cet acte est même toléré par le législateur : «Le mari ne peut, s'il n'a pas acquitté la dot, contraindre la femme à la consommation du mariage». Autrement, le mari peut acheter l'acte sexuel en payant une dot, ce qui l'autorise, légalement, à contraindre sa femme à avoir avec lui des rapports sexuels même si elle n'est pas consentante. Dans ce sens, le mari a le droit, selon l'article 13 de violer sa conjointe. Quant à l'article 227 du Code pénal qui stipule que le violeur peut être acquitté de son crime, une fois qu'il établit l'acte de mariage avec sa victime, même si celle-ci est une mineure. Ce qui constitue, selon la société civile nationale et internationale, une récompense au violeur, qui continuera à violer, sûrement à violer sa femme dans le cadre de la loi. Où en est la Tunisie post-révolution ? Aujourd'hui, une nouvelle réalité se fait voir. Aux lendemains noirs et euphoriques du renversement du pouvoir, tous les repères ont été chamboulés. On parle d'une nouvelle forme de violence à l'égard des femmes, à l'instar de la violence électorale. Au coeur des luttes politiques et la course pour le pouvoir, la situation de la femme est souvent en péril. Avec l'augmentation de la violence, le climat de crises d'ordre idéologique, religieux et politique, la recrudescence de l'insécurité, les droits de la femme deviennent réellement menacés. Il est vrai que la femme tunisienne est réputée pour sa bravoure, son intelligence et sa persévérance. Elle était à la tête de toutes les révoltes nationales et a frappé fort pour changer l'ordre des choses dans des situations très critiques et radicales. Elle a investi le terrain, le haut des podiums politiques, associatifs et médiatiques de part sa vaillance. Cela ne l'a pourtant pas mis à l'abri des violences, même sexuelles. De nouvelles formes de violences se donnent à voir depuis les élections de 2011, à travers certains médias, les réseaux sociaux. Ces violences ont été illustrées par des actes d'agressions corporelles à l'encontre des candidates aux élections. Les auteurs n'étaient autres que des hommes aux idéologies obscurantistes. Cela s'est fait dans l'espace public lorsque ces dernières prenaient la parole durant les manifestations. Il suffirait de se rappeler les deux fois où la Secrétaire Générale du Parti Républicain, Maya Jribi s'est trouvée agressée physiquement en 2011 et en 2012, du fait qu'elle est une femme. Quant aux cas des agressions sexuelles, les exemples sont nombreux et alarmants. On se rappellera tous de l'affaire de la jeune fille qui a été violée par deux policiers. Une affaire qui a ébranlé l'opinion publique tunisienne et qui a fait le tour des médias aussi bien locaux qu'étrangers. Si la jeune femme victime a été largement soutenue et assisté par la société civile, elle a été, dans un premier temps, jugée coupable et responsable de son propre viol! Il suffit de se rappeler, d'ailleurs, la réaction du porte-parole du parti majoritaire au pouvoir, Ennahdha. Ce dernier est allé jusqu'à prétendre que la faute incombe à elle, parce que ce serait elle qui aurait proposé aux deux agents de police d'avoir des rapports sexuels avec elle à condition de ne pas la poursuivre avec son fiancé en justice. C'est à ce moment-là que le parquet a dû revoir son jugement sous la pression de la société civile tunisienne et étrangère. Un énième scandale vient de s'ajouter. Un activiste dudit parti a tenté de violer, la semaine dernière, une enfant de 10 ans. L'affaire de viol collectif montre une fois de plus les défaillances législatives de nos textes de loi dans les affaires de viol. Le législateur tente par tous les moyens de donner raison au violeur et de responsabiliser la victime, qui en d'autres termes, mériterait son sort. C'était, d'ailleurs, l'occasion pour que le collectif des associations qui défendent les droits de l'Homme et qui militent pour protéger ceux de la femme contre toute forme de violences sexuelles ou autres, de mettre de la pression pour exhorter la justice tunisienne à réformer et réviser ces lois, quelque part sexistes. Et le résultat ne s'est pas fait attendre. Des réformes législatives, en faveur de la femme. En effet, l'année 2014 fut entamée en beauté pour la femme tunisienne. Il suffit d'évoquer l'adoption et la promulgation de l'article 46 qui n'est autres que le résultat des efforts louables et tenaces de la société civile tunisienne. Une sorte de reconnaissance constitutionnelle sur la question de la violence dont est victime la femme. A cet égard, l'article en question stipule que «L'Etat prend les mesures nécessaires afin d'éradiquer la violence contre la femme». Une seconde victoire, pour les militants des droits de la femme, a été notée au mois d'avril 2014. Il s'agit de la levée par la Tunisie des réserves émises sur la CEDAW en 1985.