Le Centre d'Etudes Islam & Démocratie (CSID) a organisé hier, à Gammarth, une conférence placée sous l'égide du Ministre de la Justice, des Droits de l'homme et de la Justice transitionnelle, sous le thème "Les garanties d'un procès équitable dans le cadre de la lutte contre le terrorisme". Ont assisté à ce séminaire une pléiade de députés appartenant principalement aux blocs d'Ennahdha et du CPR tels que Souad Abderrahim, Ameur Laarayedh et Samir ben Amor ainsi que des représentants des ministères concernés et des envoyés d'organisations internationales oeuvrant dans le domaine des droits de l'Homme, à l'instar de Human Rights Watch. L'ancien Ministre de la Justice au sein du gouvernement Jebali, Noureddine Bhiri, était également présent et à ses côtés Lazher Akremi, porte-parole de Nidaa Tounes. La séance matinale a été présidée par Slaheddine Jourchi, Vice-Président du Centre d'Etudes Islam & Démocratie. Lors de son discours d'ouverture, il est revenu longuement sur le terrorisme, le définissant comme un phénomène nouveau mais désormais bien réel en Tunisie. A ce propos, il a déclaré : "Avec près de 2900 combattants tunisiens en Syrie et en Irak, selon les statistiques du Ministère de l'Intérieur et plus de 8000 jeunes empêchés de force de se rendre au jihad, on ne peut plus désormais négliger la menace terroriste qui plane sur notre pays surtout que ce phénomène a été dans un premier temps associé aux quartiers défavorisés alors qu'il se révèle être aujourd'hui un mal qui ronge toute la société, toutes classes confondues. Contrairement aux idées reçues, il n'y a pas que des jeunes nécessiteux et au chômage qui se radicalisent et prennent le chemin du djihad. Des diplômés, filles et garçons, issus de familles aisées voire riches sont également exposés à ce danger. C'est pourquoi il faut combattre le terrorisme en mettant au point un texte de loi sévère mais qui respecte toutefois les droits fondamentaux de tout être humain. " Prenant la parole à son tour, Hafedh Ben Salah, Ministre de la Justice, des Droits de l'homme et de la Justice transitionnelle a indiqué que toute la complexité de la lutte anti-terrorisme réside dans le fait qu'il faille, lors des procès des présumés terroristes, juger des actes mais surtout des intentions puisqu'il existe déjà des lois incriminant les dépassements et les crimes tels que la violence, les actes de vandalisme et le meurtre mais qu'en cas de terrorisme, il faut s'assurer qu'il y a une volonté réelle de semer la terreur auprès de la population et une intention claire de changer, par la force, la nature du régime ou de l'Etat. Le Ministre a également insisté sur la nécessité de former davantage les juges en charge de ces dossiers graves et délicats et a ajouté que les discussions sur le projet de loi anti-terrorisme étaient toujours en cours pour que le texte final soit clair, précis et dissuasif sans qu'il ne serve pour autant d'instrument de vengeance pour régler les querelles et litiges entre rivaux politiques. Abdelhamid Ben Abdellah, chargé de mission au sein du Ministère de la Justice, des Droits de l'homme et de la Justice transitionnelle est revenu, quant à lui, sur toute la procédure qui a mené à l'élaboration de ce projet de loi-antiterrorisme qui remplacera, dès son adoption par l'Assemblée Nationale Constituante (ANC), la très controversée loi de 2003, mise en place sous Ben Ali pour se débarrasser "en toute légalité" des opposants. Dès novembre 2011, une commission technique, constituée de responsables du Ministère de la Justice ainsi que d'experts universitaires et de cadres sécuritaires, a été chargée de l'épineux dossier. A l'issue de ses travaux, la commission a rédigé l'actuel projet de loi anti-terrorisme qui a été présenté à l'ANC en janvier dernier. Si certains textes de lois ont été approuvés par l'ensemble des forces politiques, d'autres divisent encore aujourd'hui. Début juin, lors de l'audition du Ministre de la Justice, des Droits de l'Homme et de la Justice transitionnelle par la Commission des Droits, des Libertés et des Relations extérieures au sein de l'ANC, les députés ont critiqué la définition vague et imprécise du terrorisme, de l'incitation au terrorisme et de certains actes terroristes, la prevalence de la répression aux dépens de la prévention et enfin l'absence de garanties quant au respect des droits fondamentaux des suspects dès leur arrestation et à leur droit à un procès équitable. Un avis partagé par Emna Guellali, directrice du bureau de Human Rights Watch (HRW) en Tunisie. "Malgré des efforts considérables pour faire évoluer la loi anti-terrorisme, il reste toutefois quelques points litigieux et opaques qui peuvent dans le futur servir à brimer les libertés individuelles des citoyens, comme c'est le cas, par exemple, pour le texte de loi qui accorde des autorisations exceptionnelles pour la mise sur écoute et l'interception de télécommunications." Pour Emna Guellali, s'il est capital de lutter contre le terrorisme par tous les moyens, le respect des droits fondamentaux de chacun n'en reste pas moins, pour elle, une ligne rouge à ne pas franchir et un droit sacré pour tout citoyen.