Il est normal que le paysage politique d'un pays change après une révolution, sinon celle-ci n'aurait pas de sens et n'en serait même pas une. La rupture d'un processus politique en est le corollaire, il donne lieu à un autre qui inaugure une nouvelle phase plus riche, plus variée et plus dynamique. Elle se caractérise, donc, par une liberté d'expression et d'organisation, de profusions de partis politiques et d'associations civiles, ce qui implique l'ensemble de la société dans la vie publique, qui était auparavant la chasse gardée de la dictature, et qui devient, ainsi, animée par plusieurs acteurs, se concurrençant les uns les autres en vue d'être le premier sur le podium. La réunion de tous ces éléments constitue un signe de bonne santé. Mais lorsque s'ajoutent à ces transformations radicales sur le plan politique, des modifications profondes au niveau du paysage social, là, on hésite fort à accorder la qualification de révolutionnaire à ces changements, car une révolution ne se fait pas uniquement sur le terrain, mais aussi dans les esprits. A voir, le paysage social en Tunisie, on a l'impression que le pays a régressé. Le look d'une bonne partie des gens, hommes et femmes, donne à penser, il nous rappelle une époque révolue qui est tout à fait étrangère à notre culture et que notre histoire contemporaine n'a jamais connue, même pas aux temps les plus reculés. Un passé glorieux En effet, quand vous consultez l'album des Tunisiens, vous ne trouverez nulle part la trace du « burqa », du voile, de la djellaba, ni des longues barbes ébouriffées. Nos aïeuls portaient des habits qui étaient à la mode et non pas empruntés à des époques anciennes ou à d'autres communautés ou sectes, ni ne se donnaient un air moyenâgeux en laissant pousser sur leurs visages des poils hérissés comme la queue d'un chat, donnant l'apparence de fantômes à leurs auteurs. Bien au contraire, ils accordaient un grand intérêt à leur allure et essayaient de la soigner du mieux qu'ils pouvaient. Leur élégance était comme un culte. Les femmes se vêtaient de « sifsari », « malya », « fouta et blouza », « fadhila »..., et les hommes de burnous, « khachabiya », « jebba », « farmla », « badia » (gilet)... Plus tard avec le modernisme, nos concitoyens se sont mis à la mode et la tenue vestimentaire a, sensiblement, évolué. On commençait à voir les robes, les jupes, les costumes et les vêtements unisexes, symbolisés, essentiellement, par le jeans. Les femmes se sont mises à se maquiller pour se rendre de plus en plus belles et les hommes variaient les coupes de cheveux, allant des courts, aux longs et aux plus longs. Ainsi, les différences entre les deux sexes en la matière commençaient à s'estomper, puisque les femmes aussi se les faisaient couper aussi courts que les hommes. Les barrières sexistes tombaient davantage dans les domaines éducatifs, professionnels et sportifs, étant donné que les premières y avaient accès au même titre que ces derniers grâce à l'enseignement à caractère obligatoire instauré par Bourguiba. Les esprits évoluaient et la Tunisie devenait un leadership sur le double plan arabe et africain où elle se faisait des jaloux. Cette excellence s'est déjà manifestée depuis belle lurette, depuis l'aube du vingtième siècle où notre pays a vu la naissance d'un mouvement syndical avant-gardiste à cette échelle, avec Mohamed Ali Hammi, et à partir des années 60, l'école tunisienne a commencé à faire éclore des génies et des talents qui ont permis l'essor de la Tunisie dont l'image était tellement embellie qu'elle était assimilée à un pays européen. C'était le portrait dont elle s'enorgueillissait et qu'elle portait comme une couronne sur la tête pendant des décennies. Avec l'avènement de la révolution, on s'attendait à ce que ce tableau pittoresque soit plus agrémenté, mais voilà que ces attentes sont désavouées. Le syndrome afghan Au lieu d'avancer, on a fait marche arrière, le recul fut spectaculaire et la chute retentissante. L'atmosphère s'est, subitement, assombrie par des drapeaux noirs et des habits de la même couleur. C'était le premier spectacle lugubre qui a, immédiatement, suivi la Révolution et les « burqas » et la mode afghane se mettaient à défiler dans nos rues. Et avec l'accession au pouvoir de ceux qui « craignent Dieu », le paysage social s'est obscurci encore plus avec la propagation du voile qui envahit notre espace public. Il devient omni présent partout, dans l'administration, à l'école, aux quartiers... Et même dans certains mariages, les fêtes mixtes font place aux fêtes sexistes où on aménage un espace pour les femmes et un autre pour les hommes. La fréquentation fut prohibée. C'est ce qui se passe dans des écoles coraniques qui sont instituées en dehors de toute légalité et où vous voyez des fillettes enveloppées dans d'amples étoffes ressemblant à des linceuls, transgressant leur innocence et assassinant leur enfance. Beaucoup de femmes portent le voile par conviction. D'autres sont persuadées que c'est la voie du salut qu'elles doivent suivre d'autant plus qu'elle est prônée par les islamistes en qui elles voient les dépositaires de la volonté divine. Et il est à craindre que la Tunisie n'emboîte le pas à l'Afghanistan qui, aux années 60 et 70, avait l'allure d'un pays européen avant de dégringoler et connaître un sort si funeste et une tragédie si kafkaïenne. Tout près de chez nous, notre voisin algérien avait connu un changement de paysage social presque radical suite à la décennie meurtrière où les fondamentalistes religieux ont semé la terreur qui a laissé une trace indélébile dont l'une des manifestations les plus importantes est, justement, le voile qui y fait ravage. Les répercussions de la présence massive des vêtements dits religieux, dans notre pays, ne sont pas seulement culturelles mais aussi économiques. Le commerce s'en fait ressentir surtout dans les secteurs du prêt à porter, de l'esthétique et de la coiffure pour dames. Le tourisme aussi, puisque, en dépit de tout le bien qu'on en dit et les propos rassurants que les officiels ne cessent de débiter, le paysage à l'allure afghane n'est pas de nature à rassurer les étrangers qui visitent notre pays, du moins à long terme. Les Tunisiens éprouvent des inquiétudes, corroborées par des études cliniques établies par des psychologues et des psychiatres, relatant des statistiques fort alarmantes relatives aux taux de suicide et de dépression parmi les Tunisiens, comment veut-on que les touristes soient rassérénés. Cette nouvelle réalité n'est-elle pas la preuve que le changement du modèle sociétal tunisien est déjà en marche?