Quand il s'agissait d'évoquer les problèmes de la déscolarisation en Tunisie, on a longtemps avancé comme arguments le niveau de l'élève, l'éloignement des écoles, l'absence de l'infrastructure ou encore le travail domestique et agricole. A vrai dire, ces thèses occultent une réalité encore plus poignante. Les contraintes socioéconomiques et culturelles en sont les premières causes. Les rebondissements sociopolitiques qui chamboulent le pays ces dernières années et la cherté de la vie ont eu des répercussions nocives sur la scolarisation des enfants. Aujourd'hui, la Tunisie fait face à une véritable dérive : une centaine de milliers d'élèves quittent le banc des écoles. La disparité socioéconomique entre le milieu urbain et le milieu rural fait que le taux de scolarisation dans les zones défavorisées est nettement inférieur en comparaison avec les grandes villes. La pauvreté, le système éducatif et l'environnement familial et social figurent parmi les principaux facteurs avancés par une étude récente effectuée par le Forum Tunisien Pour les Droits Economiques et Sociaux en étroite collaboration avec l'Observatoire Social Tunisien et l'UGTT. Une étude qui s'est inspirée des législations internationales et nationales relatives au droit de l'enfant à l'éducation et l'enseignement. Déscolarisation et disparité régionale Les résultats de cette étude ont fait l'objet d'une conférence de presse tenue, hier, mercredi 10 septembre 2014 au siège du FTDES. L'axe principal de ce travail de terrain porte sur les contraintes qui obligent des milliers d'élèves de l'enseignement de Base et l'enseignement secondaire à quitter volontairement l'école. L'étude a pris pour échantillon trois gouvernorats : Kasserine, Kairouan et Monastir. Se basant sur les données statistiques publiées chaque année dans la base de données du ministère de l'Enseignement, des administrations régionales relevant dudit ministère et de l'Unité de la Promotion Sociale qui ont à charge le suivi de des facteurs sociaux liés à certains cas de déscolarisation «volontaire». L'étude de terrain s'est basée sur des données statistiques de l'année scolaire 2011/2012 faute d'avoir celles de l'année dernière. Sur ce point-là, le FTDES a souligné le manque de coopération des services du ministère de l'Enseignement et l'absence des statistiques sur le site jusqu'au mois d'août 2014. Un échantillon de 601 jeunes tunisiens ayant choisi de quitter très tôt les bancs de l'école «volontairement». Ces cas sont répartis comme suit : 262 issus du gouvernorat de Monastir, 187 originaires de Kairouan et 152 natifs de la ville de Kasserine. Le choix des trois régions ne s'est pas fait de manière aléatoire. Les trois gouvernorats sont le meilleur échantillon qui traduit nettement la disparité régionale, la marginalisation et l'impécuniosité. Le FTDES note que la région frontalière de Kasserine, la ville des 60 martyrs, est le gouvernorat qui a le plus grand taux de déscolarisation «volontaire» à l'échelle nationale. Sachant que plus de la moitié des 112 mille élèves déscolarisés (chiffre donné pour l'année scolaire 2011/2012), sont des enfants de moins de 16 ans. Ce qui constitue un indice national alarmant. L'étude s'est adressée, d'abord, aux institutions éducatives pour mieux comprendre le cadre général et les conditions de travail. Parallèlement, une enquête a été menée auprès des élèves déscolarisés pour faire plus ample connaissance, comprendre le type de relation qu'ils ont avec leur milieu familial, éducatif et social. Le but est de comprendre les raisons et les facteurs qui poussent ces enfants à quitter précocement l'école. Un acte qui coûte très cher à l'enfant, à l'Etat et à la société de manière générale, en termes de délinquance, l'extrémisme religieux ou idéologique, l'immigration clandestine et l'ignorance intellectuelle et technologique. L'échec du système éducatif en chiffres L'enquête menée par le FTDES parle de 112 mille élèves qui ont quitté l'école en 2011/2012, soit 11% de l'ensemble des élèves inscrits dans l'enseignement de Base et l'enseignement secondaire et 1% de l'enseignement Primaire. Durant cette année scolaire (2011/2012), les statistiques ont montré que 962 élèves de la Première année primaire ont quitté l'école. Le nombre total des élèves du Primaire qui ont été déscolarisés avoisine les dix mille enfants. C'est à se demander quel genre de sort attend ces tout petits élèves. Dans cette étude, l'enquête menée a, également, montré la disparité dans le genre. Dans les trois gouvernorats concernés par l'étude, le taux des garçons amenés pour une raison ou une autre à quitter l'école est nettement supérieur à celui des filles. En effet, 66% pour le sexe masculin contre 34% pour le sexe féminin. Le facteur âge montre, par ailleurs, que la grande partie de ceux qui quittent l'école sont âgés entre 16 et 17 ans. Quant à ceux qui ont moins de 17 ans, ils sont 38% à avoir été contraints d'arrêter de manière précoce leurs études. Ce qui remet en doute l'application de la loi de l'enseignement obligatoire... La déscolarisation au collège a atteint les 43,40% de l'ensemble d'élèves qui ont quitté les bancs de l'école. Le nombre total en 2011/2012 est de presque 50 mille élèves. Quant au niveau secondaire, ils sont au nombre de 53871 lycéens qui ont été contraints d'arrêter leurs études, soit 47,82% de l'ensemble des enfants déscolarisés. Il est à noter que le phénomène de déscolarisation ne esse d'augmenter depuis les années 80 qui a cru de 26 mille pour atteindre les 127 mille en 2004/2005 pour se stabiliser les années d'après et remonter jusqu'à 112 mille en 2011/2012. Le FTDES a tenu à souligner que le rythme s'est de nouveau accéléré au lendemain du 14 janvier 2011. Alors que le taux de déscolarisation était de 9,6% en 2010/2011, il a atteint les 11,2% l'année d'après. Ces chiffres montrent à quel point l'ambiance tendue au sein du milieu éducatif, l'absence de réforme dans tout le système éducatif, la violence, la tricherie et l'anarchie régnante l'année dernière ont condamné le milieu éducatif et précipité son échec. Le phénomène de la déscolarisation est presque le même dans le milieu urbain et le milieu rural. Néanmoins, il est plus accentué dans les zones défavorisées à cause des conditions socioéconomiques, de la marginalisation et de la pauvreté. L'absence de l'infrastructure et de moyens de transport entre l'école et les maisons font aussi partie des contraintes qui poussent surtout les filles à interrompre leurs études. Le milieu social est notamment un des facteurs déterminants agissant sur l'avenir des enfants. La plupart des enfants qui sont contraints à quitter l'école appartiennent à la classe sociale pauvre et moyenne dont les parents n'ont pas de revenus fixes. Plus de 52% des élèves interrogés ont déclaré que leurs pères n'a pas de travail stable contre 6% dont les parents sont des employés. La déscolarisation «volontaire» et précoce est un des indices majeurs de l'échec d'une politique scolaire et d'une économie injuste du pays. Que des enfants de moins de 16 ans choisissent de quitter les bancs de l'école est signe que tous les systèmes éducatifs tunisiens expérimentés sont incapables d'assurer une qualité d'enseignement digne, équitable et performante.