La rue piétonne, qui longe les arcades où se concentrent les boutiques toutes transformées en magasins multi produits pour touristes, devient le temps d'un Ramadan, une immense avenue des sucreries, où stationnent, en une suite infinie, des dizaines de petites armoires sur roues, vitrées, surchargées de pâtisseries. Cela déborde même sur l'autre placette nouvellement pavée de blocs de calcaire blanc. On n'y vend pas autre chose. Une évolution spectaculaire du goût du djerbien moyen : on est passé très vite de l'indispensable « ghraïba », à base de sorgho, de poischiche ou de semoule, vers d'autres gâteaux, le « faire comme le voisin » aidant. Et pour toutes les bourses : volumineuses oreilles de cadi, baklawa fourrée on ne sait avec quoi, vu les prix affichés, des zlabias, des mkhareks, de l'harissa bien moelleuse, des biscuits secs ( kâak) , du nougat multicolore, des halkoums, des dizaines de plateaux de millefeuilles, et des pâtisseries à l'emporte pièce, des morceaux de simple génoise couverte de crème au beurre et de microscopiques noisettes de chantilly. Tous les makroudhs sont censés venir de Kairouan et les cornes de gazelle de Tataouine !!! Des petits fours, des sablés, des madeleines, des biscuits à tremper. On s'y perdrait. Un grand fast-food du coin s'est même reconverti, pour l'occasion, en confiseur, et ses vitrines sont bien attirantes. Mais, sans conteste, cette année, ce sont les millefeuilles qui ont la côte, au vu du nombre de marchands, de la quantité et de la diversité des marchandises proposées. Des prix plus qu'alléchants : 250 millimes pièce, zébrures de chocolat comprises !!!Qui dit mieux ?? On s'y bouscule vraiment vers 18h30. Prendre son sachet sous le bras et aller ensuite faire la chasse au pain chaud. Certains vont vite vers les boulangeries cotées, et cela change chaque année. Souvent, il y a déjà la queue, enfin, façon de parler, un agglutinement étouffant. Parfois le boulanger met une sorte de grille en fer pour éviter l'envahissement de son espace, et on vous sert à travers la grille !!!!! La bousculade pour arracher du pain chaud. Parfois user d'arguments « convaincants » est nécessaire. D'autres ont des fidélités bien ancrées. Certains sont là depuis au moins une bonne heure, à attendre la dernière fournée !! Une grande surface, nouvellement refaite, propose différentes sortes de pains, ayant son propre coin « boulangerie ». La baguette y est reine. Mais ce que les clients ne savent pas, c'est que les baguettes arrivent d'ailleurs, toutes faites, pétries, congelées, et on ne fait que les « dorer » dans le four du local.....D'autres se nourrissent « signé » : ils ne se servent que dans une pâtisserie renommée, qui convertit son four, qui débite habituellement des pizzas à longueur d'après-midi, en usine à « m'bassas ». Là, il faut payer à la caisse, prendre un ticket, etc. Le débit des millefeuilles est autre. Le prix aussi. D'autres pénètrent au marché, à quelques pas de là. Les deux côtés de l'allée centrale qui mène vers les étals de poissons, vides à cette heure-ci, sont complètement squattés par la quinzaine de vendeurs de feuilles de brik qui sont là dès dix heures, et les marchands de pain. Des couffins remplis à ras bord de kesra, de khobz tabouba, de m'laoui, couverts de serviettes de table, proposés avec ou sans sinouj, jaunis au curcummin. Peu de vieux pour vendre. Des jeunes, et tous issus de la population continentale qui viennent proposer la production de la mère ou de la sœur. Interminables palabres, on tripote, c'est autorisé, on touche, on hume même. Ce sont des fournées de M'bassas, qui arrivent par plateaux entiers, qui sont attendues avec ferveur. La ruée, et on reste là à attendre les autres arrivages. C'est le pain Ben Attia qui est incontestablement le plus prisé ici. Il a gardé de façon constante sa saveur et son croustillant. Ahmed, l'un des descendants, est à la même place tous les jours de l'année, lui. Il connaît tout le monde et est apprécié de tous. Quelques badauds sont là, leur bouteille vide en main, pour prendre leur ration quotidienne de « legmi », un nectar pour les connaisseurs et ceux qui savent l'apprécier. Le seul et même fournisseur depuis tant de temps. Avant de rentrer, passage obligé devant les deux ou trois étals de « coqs » : une sucette de sucre cristallisé, coloré de rose, rouge, blanc ou vert, ayant la vague forme d'un gallinacé. C'est la gâterie qu'on offre aux enfants le jour de la « Arfa », la veille de l'Aïd, la fête des enfants. Depuis quelques temps, cette friandise est présente durant tout le Ramadan. Ailleurs, près du Borj Mutapha Ghazi, le même rituel tous les jours : Mr « Boum », la personne préposée à la manipulation des produits provoquant la puissante explosion annonciatrice du coucher du soleil, est prêt. C'est le coup d'envoi qui provoque les « Allahou Akbar » à la chaîne. Chaque mosquée, et il y en a à Houmt-Souk, se doit de le proclamer, à sa façon. Ce rituel est un spectacle : les mêmes personnes sont là tous les jours : des jeunes viennent à vélo, des adultes en voisins, d'autres en voiture avec leurs enfants. Mais tous tenus à bonne distance, en attendant l'assourdissant « boum » libérateur.