Maintenant les Tunisiens sont réconfortés dans leur majorité par la nouvelle composition de la prochaine Assemblée des représentants du peuple. Tout un changement de décor par rapport aux soubresauts ayant émaillé le mandat de l'ANC défunte. Les alliances futures, entre les partis politiques, connaissent beaucoup de scénarios. Les lectures purement politiques des résultats du scrutin du 26 octobre ne manquent pas. Les pronostics vont bon train. Qu'en est-il des raisons et des motivations qui ont été derrière le comportement de l'électeur tunisien ? Le populisme a-t-il joué ? Comment a été ciblée la frange précaire de la société ? Comment se présente la société tunisienne à la lumière des résultats des législatives ? Est-elle divisée ? Est-elle plus soudée ? L'universitaire et sociologue Abdessattar Sahbani, pense que le schéma dégagé par les législatives est celui d'une société plutôt partagée divisée entre deux grands pôles. Il déclare au Temps : « il est facile de détecter les 4 formations politiques et relever beaucoup de surprises. Le pouvoir d'Al-Aridha Chaâbya, de Hachemi Hamdi, qui était classée 3ème en 2011, a été récupéré par l'Union Patriotique Libre (UPL). C'est toujours le pouvoir agissant de l'argent. Ces deux partis ont frappé sur ce qui est vulnérable dans la société. Le populisme a pu une autre fois l'emporter. Ce qui est important c'est que chacune des deux grandes formations possède le tiers bloquant. Et donc, personne n'aura les mains libres. On doit s'attendre aussi aux coalitions entre les différentes formations politiques. Qu'est-ce que ça va donner comme architecture ? Sera-t-elle en mesure de gouverner la Tunisie durant les cinq prochaines années ? ». Les deux grandes formations sont dans une situation semblable. Nida Tounès n'a pas encore tenuson congrès. Quant à Ennahdha, elle ne s'est pas prononcée sur plusieurs dossiers lors de son dernier congrès. Qu'est-ce que ça va donner d'ici très peu de temps. Par ailleurs, qu'est-ce qui explique l'éclipse des partis qui, traditionnellement, étaient toujours à l'avant-garde ? Là le sociologue s'interroge si les Tunisiens ont la mémoire courte, ou sont devenus tellement pragmatiques pour sacrifier parfois, leurs propres partis ? Certains Tunisiens ont brûlé ceux qu'ils ont adorés et se sont jetés dans les bras du plus fort. Du côté d'Ennahdha, quelle sera la réaction de sa base ? Un parti qui vient de perdre le pouvoir, est-il en mesure de garder la même auréole, ou lui aussi se verra vider de ses militants ? « Quant à la Gauche, elle est pour une fois unie. Mais son poids n'est guère à la mesure de ses aspirations. Peut-être aussi, on aura à faire à un autre problème, en rapport avec le prochain gouvernement, sur le budget de l'Etat, les réformes à entamer, les dossiers des caisses sociales, l'enseignement, le commerce parallèle. Je pense que ça ne sera pas facile d'avoir une grande capacité de gérer tous ces dossiers avec la crise économique et la menace terroriste », affirme l'universitaire. Il se demande s'il ne fallait-il pas revoir autrement le schéma politique ? S'investir dans un Gouvernement d'unité nationale qui rassemble tout le monde, y compris Ennahdha et que, théoriquement et dont seul Nida Tounès peut bénéficier. Ou un Gouvernement de technocrates où le Nida serait le grand perdant. Il sera un parti qui a l'autorité, mais pas le pouvoir. Enfin comment faire pour mobiliser les jeunes à s'investir une autre fois dans cette dynamique ? Le sociologue s'inquiète pour le rôle joué par l'argent politique. Il dit : « si on doit croire certaines informations sur l'argent sale et l'argent investi dans cette campagne, on comprend pourquoi les adultes ont massivement voté et les jeunes non. Nous avons affaire à des jeunes qui sont sous-informés et le plus souvent mal informés. Les partis politiques et l'élite n'ont pas présenté de programmes clairs. Ils ne se sont pas adressés de manière directe aux jeunes. Le spécifique et le particulier étaient absents des programmes. C'est ce qui explique le désenchantement des jeunes. C'est la raison pour laquelle, ils ont refusé de voter, comme si la chose publique ne les intéressait pas. Les jeunes ont fait la Révolution, mais les deux leaders des deux plus grandes formations politiques ont plus que 80 ans. Le nombre des jeunes dans le Parlement est quasiment dérisoire sinon absent. Nous n'avons pas encore vu la pluralité culturelle et ethnique de la Tunisie dans cette assemblée. Comment l'élite gouvernante va se comporter ? Et comment l'élite non-gouvernante va réagir ? De toute façon ce qui est urgent c'est d'abord rassurer. La Tunisie a besoin d'être rassurée des menaces terroristes, des problèmes économique, de la précarité »...Et c'est là le défi et l'enjeu.