* « Dans les discours, beaucoup d'excès ont été enregistrés», déplore Annissa Bouasker (ATIDE) * «Deux candidats utilisent les moyens de l'Etat et touchent leur salaire contre zéro rendement dans la fonction qu'ils exercent», souligne Sihem Bouazza (Mourakiboun) * «Certains discours, comme celui du président sortant, contiennent des propos incitant à la haine», s'inquiète Mohamed Kamel Gharbi (Aïn sur les élections) Dix jours nous séparent de la date du scrutin présidentiel. L'attente bien que haletante est moins stressante que ce qui a été vécu lors de cette campagne qui a commencé timidement. Les 25 candidats restés en course, après le désistement de deux (Mohamed Hamdi et Abderrahim Zouari), jettent toutes leurs forces dans la bataille pour conquérir la sympathie et par delà gagner le cœur et le vote tant désiré des électeurs tunisiens. Si lors de la campagne des législatives un grand nombre d'infractions a été enregistré, qu'en sera-t-il de la présidentielle ? Dans les législatives, plus de 1500 listes se concurrençaient pour entrer au palais du Bardo. A présent le nombre de postulants est de loin beaucoup plus réduit. Comme l'espace dans lequel ils s'activent couvre l'ensemble du pays, chaque infraction enregistrée dans un déplacement quelconque retentit à coup sûr sur tout le territoire du fait que l'information est instantanée. Les candidats ont-ils été à la hauteur de leurs engagements d'avant campagne, pour se comporter de façon respectable, digne et respectueuse de leurs concurrents et du citoyen qui va les élire ? Ont-ils versé dans les propos incitant à la haine ? Annissa Bouasker, chargée de la communication à l'Association Tunisienne pour l'Intégrité et la Démocratie des Elections (ATIDE) n'y va pas du dos de la cuillère. Elle rappelle que les affiches publicitaires qui avaient été interdites lors des législatives ont été autorisées pour la présidentielle. Pour le financement, la loi permet d'aller jusqu'à 750.000 dinars dont 75.000 avancés par le Trésor public. Pour se fixer, il faut attendre les rapports d'I Watch pour cerner les dépassements éventuels. Les discours ont beaucoup attiré son attention. Elle déclare au Temps : « Dans les discours, beaucoup d'excès ont été relevés. Des propos graves ont été constatés dans les discours de Moncef Marzouki. Et à un degré moindre dans les propos de Hachemi Hamdi, qui a puisé dans le populisme fondé sur le régionalisme, en enfonçant l'écart entre les régions. Au lancement de sa campagne électorale, un appel a été lancé aux jeunes les haranguant à sortir du noir et des ordinateurs pour aller interpeller et convaincre les Tunisiens victimes de 3 années d'information les convainquant des insanités endurées. C'est un appel à peine déguisé à la haine contre les journalistes. D'ailleurs, ces propos ne sont pas allés dans les oreilles d'un sourd. Lors de sa campagne à Kairouan, deux journalistes ont été agressés le 9 novembre. Une autre fois, il a parlé de « taghoout », en réservant ce qualificatif non seulement à ceux qui avaient servi l'ancien régime, mais aussi ceux qui veulent son retour. Ce sont des termes empruntés auprès des extrémistes religieux. C'est un appel déguisé à abattre les concurrents qu'ils visent. D'ailleurs, les Ligues de protection de la révolution, pourtant dissoutes, sont la plus grande menace contre les élections ». Un autre fait signalé. Radhouane Masmoudi à la tête d'un ONG (CSID) supposée être neutre lors de la campagne électorale, a appelé à voter utile, en faveur de Marzouki qu'il considère garant de la démocratie et de l'équilibre des pouvoirs. De la part d'un premier responsable d'une ONG, c'est une forme d'outrance. Ses sympathies islamistes ne sont un secret pour personne. Sihem Bouazza, membre fondateur de Mourakiboun, remarque que les dépassements ont concerné les affiches qui sont collées dans des lieux non autorisés. Elle ajoute que les noms de certains candidats sont passagèrement cités, surtout dans les radios. Leurs auteurs pensent les faire passer de manière inaperçue, alors que ces pratiques sont absolument interdites par la HAICA. Elle déclare au Temps : « Nombreux citoyens se sentent agressés par le gigantisme de certains posters affichés, dans les pancartes publicitaires par les candidats. Comme c'est la première élection présidentielle réellement plurielle, les Tunisiens ne sont encore pas habitués à ce genre de support de campagne publicitaire. Par ailleurs, un certain opportunisme s'est manifesté. A Béjà quatre candidats sont « descendus » le même jour. A Sidi Bouzid, trois ont fait de même. Le citoyen ne pouvant se trouver au même endroit et à la même heure dans plus d'une place, se trouve piégé, désorienté et ne peut se couper en quatre. Ceux qui voudraient entendre deux candidats différents restent frustrés. Une autre forme d'opportunisme est observée. Un candidat se trouve dans un marché public. Il en profite pour faire un discours comme s'il était dans un meeting. C'est inapproprié. Les citoyens présents n'ont pas été préparés à de telle manifestation. Ils se retrouvent en train de suivre une allocution, malgré eux. Quant au contenu des discours, certains candidats font des promesses sur des sujets économiques et sociaux qui ne font pas partie des prérogatives d'un président. Certains candidats utilisent des moyens de l'Etat dans leurs déplacements. Ils sont encore à la tête des Institutions de l'Etat (Moncef Marzouki et Mustapha Ben Jaâfar) touchent le salaire de la fonction alors que leur temps est totalement consacré à leurs campagnes. C'est une forme d'emplois fictifs. Ils touchent leur salaire contre zéro rendement dans la fonction qu'ils exercent. L'opportunisme fait que, parfois, un candidat comme le président sortant s'affiche avec un Cheikh salafiste dans un marché à M'Saken, croyant que ce personnage est apprécié dans sa ville natale. Il ne faut pas oublier le langage violent employé par leurs supporters dans les meetings. Pour Mustapha Ben Jaâfar, il a utilisé le qualificatif « père spirituel » de la Constitution. Il induit les citoyens en erreur pour se créer l'image d'une personnalité indépendante et respectable. C'est un autre forme d'opportunisme ». Mohamed Kamel Gharbi, porte-parole du réseau Aïn sur les élections, dénonce l'affichage anarchique et le non respect des places réservées à l'affichage par le candidat Samir Chennoufi. Il relève que certains discours contiennent des propos incitant à la haine comme celui du président sortant à Kairouan où il a utilisé le qualificatif « Taghout » contre ses adversaires, sans oublier les promesses qui ne correspondent pas aux prérogatives du président. Il déclare au Temps : « pour l'argent sale, on en parle, on essaie de trouver des arguments, mais aucune preuve concrète n'a été présentée. Globalement jusqu'à maintenant, les infractions sont moins nombreuses que lors des législatives ».