Hier, vers 12 h du matin, l'ISIE a annoncé les résultats préliminaires du premier tour des élections présidentielles, confirmant ainsi la tenue d'un deuxième tour entre Béji Caied Essebsi ayant recueilli le plus grand nombre de voix et Moncef Marzouki, le président sortant. Deux faits notables toutefois. D'abord l'écart entre les deux candidats qui passe de 10% comme annoncé par les instituts de sondage à un peu plus de 6% selon les chiffres officiels de l'Instance Supérieure Indépendante pour les Elections. De même, initialement prévu pour le 28 décembre, le deuxième tour pourrait être avancé d'une, voire de deux semaines, si aucun candidat ne saisit le tribunal pour contester les résultats annoncés par l'ISIE. Ce qui signifierait que les citoyens seront de nouveau appelés aux urnes dans trois semaines. A peine remis de leurs émotions et le temps de faire disparaître toute trace d'encre indélébile de leur index, que ce sera déjà parti pour un deuxième tour ! Une première mais surtout une chance pour les Tunisiens, tout récemment réconciliés avec les élections et si peu habitués au processus démocratique en marche. Mais alors que la Tunisie se prépare à élire son Président pour les cinq prochaines années, deux ombres planent sur la réussite de cet événement historique: l'abstentionnisme et le vote blanc. Dès dimanche matin, les Tunisiens n'avaient que le mot élections à la bouche. Le soir même, ils étaient divisés en satisfaits et déçus par les résultats estimatifs annoncés par les instituts de sondage. Mais tous s'accordaient à dire qu'ils viennent de vivre un moment historique, inespéré du temps de Ben Ali. Pour l'anecdote, deux amis, tous deux quinquagénaires se sont retrouvés lundi matin dans leur café habituel. L'un a voté pour Béji Caied Essebsi et l'autre pour Marzouki. Chacun essayait d'argumenter son vote et de convaincre l'autre qu'il a fait le mauvais choix en votant pour l'adversaire. Loin d'être tendue, l'ambiance était au contraire aux taquineries, aux bonnes blagues sur les candidats à la présidentielle et à la bonne humeur. Passant à côté d'eux, le propriétaire du café leur a dit, mi-plaisantin, mi-sérieux: « Du temps de Ben Ali, je ne vous aurai jamais autorisé à tenir ce genre de conversation ici. » C'est dire à quel point les choses ont changé en si peu de temps et que la liberté de parole est indéniablement l'un des grands et peut être même des rares acquis de cette révolution. Mais alors que chacun est désormais libre de donner son avis sans peur des représailles, pourquoi des citoyens, libres et responsables, décident-ils de boycotter volontairement les différentes élections du pays et s'abstiennent-ils de voter ? Hager, enseignante de français, fait partie des abstentionnistes convaincus pour le deuxième tour. Elle explique : « Aucun des deux finalistes ne m'inspire confiance et n'arrive à me convaincre. Pour moi, c'est un peu le principe du marteau et de l'enclume. C'est une vraie mascarade à laquelle je ne participerai jamais. Je ne serai jamais un pantin aux mains de ces politiciens qui ne se souviennent de nous qu'en période électorale. S'ils veulent accéder au pouvoir et briguer les plus hautes fonctions au sommet de l'Etat, ce sera sans moi !» Défaitiste et pessimiste, Ismaïl, la trentaine à peine, a capitulé depuis belle lurette. Il déclare : « A quoi bon voter ? Je sais que les dés sont jetés depuis bien longtemps et nos voix n'y changeront rien. C'est pourquoi je n'ai pas voté au premier tour et je ne le ferai pas au deuxième non plus. » Héla, quadragénaire, va aussi s'abstenir de voter mais pas pour les mêmes raisons qu'Ismaïl. Elle défend ainsi son choix: « Entre un candidat de 87 ans et un président sortant au bilan peu flatteur, supposé être laïque et qui a obtenu la deuxième place grâce notamment au soutien explicite d'un parti islamiste, moi je dis non ! Votez pour qui vous voulez, moi je ne le ferai pas. Le jour où des candidats forts d'un programme solide et d'une vraie vision politique se présenteront, j'irai voter. Mais pour cette fois-ci, je préfère m'abstenir. D'ailleurs trois membres de ma famille vont faire de même.» Vote blanc: Vote sanction ou poubelle ? Pour Iheb, les choses sont un peu moins claires et son avis n'est pas encore tranché. Au premier tour, il a voté pour son candidat de coeur qui, faute de voix, n'a pas pu accéder au deuxième tour. Aujourd'hui, il ne sait que décider: « Sincèrement, j'hésite entre vote blanc et abstention. J'ai quelques semaines pour prendre ma décision finale. Mais si jamais je change d'avis au dernier moment et je décide de voter, je sais déjà pour quel candidat je ne donnerai jamais ma voix ! » Mais qu'est ce que le vote blanc ? C'est simplement le fait de ne voter pour aucun des candidats et de glisser dans l'urne un bulletin vierge. Cette alternative à l'abstention est un moyen civilisé pour exprimer son mécontentement mais aussi une façon pour l'électeur de montrer qu'il ne se reconnaît dans aucune candidature ou encore qu'il hésite entre deux ou plusieurs candidats et qu'il n'arrive pas à trancher. A quelques semaines du deuxième tour, le vote blanc semble en séduire plus d'un. Khaoula, jeune militante engagée, affirme tout haut: « Contrairement à ce que les mauvaises langues disent, le vote blanc n'est pas un vote lâche. C'est un vote sanction qui montre que l'électeur n'est pas satisfait par les candidats en course. Il y a des pays, comme la Suisse, L'Espagne, la France ou les Pays - Bas, qui le prennent en compte et en cas d'un fort résultat de vote blanc, les élections sont remises en cause. » Mais s'il constitue un droit incontestable pour tout électeur, beaucoup remettent en cause son utilité, surtout en cette période décisive de l'Histoire de la Tunisie. En effet, selon l'article 3 du chapitre des Dispositions Générales de la Loi organique n° 2014-16 du 26 Mai 2014 relative aux élections et aux référendums, il est stipulé que le bulletin blanc est comptabilisé parmi les bulletins exprimés mais n'est pas calculé dans le quotient électoral. Un vote blanc équivaut donc à un vote nul. En 2011, lors des élections des membres de l'ANC, les votes blancs ont été comptabilisés pour la détermination du nombre de sièges obtenus par les listes électorales dans certaines circonscriptions. Mais un recours a été déposé dans celle de Médenine par Ennahda pour annuler cette décision. Le tribunal administratif ayant accepté le recours, les votes blancs n'ont finalement pas été pris en compte. Cette décision a alors permis au parti Ennahda de remporter un siège supplémentaire. Nous voici prévenus !