Maintenant que les pourparlers sont arrivés à terme et que toutes les positions sont, définitivement, arrêtées, on peut dire que les dés sont jetés. La nouvelle équipe gouvernementale, qui serait à cinq têtes et qui serait annoncée demain, est, à l'heure où on écrit ces lignes, en train d'être constituée avec les parties consentantes vis-à-vis du choix fait par Habib Essid et du programme qu'il compte appliquer. Cependant, si à ce niveau, il n'y a pas de divergence, la démarche qui sera suivie par lui dans l'octroi des quotas aux uns et aux autres serait-elle acceptée par tout le monde ? Ces parties se contenteraient-elles du degré de leurs représentativités respectives au sein du nouveau gouvernement ? Et la question la plus importante dans tout ça, sont-elles homogènes pour pouvoir travailler ensemble ? Politique d'enchères A entendre certaines déclarations, on ne peut qu'être dubitatif quant à un vrai dénouement et un vrai soulagement. C'est ce qui ressort des déclarations d'Abedellatif Mekki, le dirigeant du Mouvement Ennahdha, selon lequel son parti est un acteur à part entière et non pas un subalterne, soulignant que celui qui essaye d'en minimiser l'importance, en essayant de restaurer les pratiques du régime dictatorial, sera démenti et déçu. Autrement dit, Ennahdha, qui hausse le ton, ne se contenterait pas de places de second rang. Mais cela ne se contredit pas avec des déclarations précédentes, émanant de certains de ses partisans qui ont soutenu que l'essentiel pour eux c'est que leur parti y soit représenté et que peu importe le nombre de portefeuilles qui lui seront accordés? D'ailleurs, il y a quelque temps, ils étaient même d'accord de s'y faire représenter par des indépendants qui soient proches de leur Mouvement. De plus, Rached Ghannouchi a indiqué qu'ils ont proposé une liste de noms à Habib Essid et que c'était à lui de trancher. En fait, il existe un hiatus entre les déclarations faites par les différents responsables d'Ennahdha, puisqu'ils tiennent des discours destinés à la consommation interne et d'autres à la consommation externe. Car, avant de s'engager dans ce processus, ils ont recueilli l'avis du président du Mouvement de la Société pour la Paix algérien (MSP, ex Hamas), Abderrazak Makri, qui leur a prodigué le conseil suivant : « l'importance ne réside pas dans le nombre de portefeuilles qui vous seront accordés, et il n'y a pas de gêne à ce que votre représentation au sein du gouvernement ne reflète pas votre stature politique avec des personnalités de votre choix ». Donc, après avoir accueilli, favorablement, ce conseil, les voilà qu'ils se rétractent, en faisant preuve de voracité. Certains observateurs estiment qu'Ennahdha a laissé passer l'orage, où sa participation au gouvernement Essid a connu une opposition farouche, pour engager une offensive, en essayant de se tailler la part du lion. Dans ce nouveau contexte, que le parti islamique juge propice au renforcement de sa position, Abdellatif Mekki a appelé le Président de la République à intervenir pour éviter « l'embrouille de dernière minute qui commence à pointer ». On en déduit que la guerre pour les portefeuilles ministériels entre les partenaires bat son plein. Alors, comment pourraient-ils travailler ensemble avec un tel esprit de concurrence qui les divise d'emblée? Cette manière d'agir ne reflète-t-elle pas l'ombre pernicieuse des quotas partisans qu'on croyait partie à jamais ? Une telle compétition ne serait-elle pas plus fructueuse si elle était employée à appliquer des programmes d'intérêt général ? Ezzeddine Saïdane, le dirigeant de Nida Tounes, n'a-t-il pas raison de dire qu'on assiste à de vraies enchères ? En plus de ce marchandage, il y a des animosités qui commencent à se déclarer entre certaines composantes de ce nouveau cabinet. C'est ce qui se dégage du vœu exprimé par Yassine Brahim, le président d'Afek Tounes, relatif à l'exclusion de l'UPL de l'équipe d'Essid. Il estime qu'il est préférable que ce parti ne soit pas présent au futur gouvernement, en soulignant qu'il est gênant, voire même honteux, de retrouver des noms suspectés de corruption au sein du gouvernement, et qu'on soit obligé de rectifier le tir. Un tir qu'il rectifie lui-même en ajoutant que si l'UPL est capable de présenter des compétences pouvant apporter le plus, il est le bienvenu. Cette ambiance qui sévit au sein de la nouvelle équipe gouvernementale n'est pas de nature à rassurer quant à son bon fonctionnement. Responsabilité politique du gouvernement Pour ce qui est de la démarche empruntée par Habib Essid dans les négociations, concernant la composition du prochain gouvernement, le président d'Afek Tounes indique, avant-hier que celui-ci en garde, toujours, la même. C'est pourquoi il appelle Nida Tounes à clarifier sa position par rapport aux prochaines alliances, en l'invitant à préciser sa conception du gouvernement. « On aimerait savoir s'il veut mettre en place un gouvernement d'indépendants, ou bien un gouvernement politiques », scande-t-il. Il en découle que la question inhérente aux portefeuilles à attribuer aux partis politiques et aux indépendants n'est pas encore tranchée. La question posée par Yassine Brahim est d'une importance capitale, selon le juriste Kamel Messaoudi qui précise qu'à partir du moment où la Tunisie a choisi un régime parlementaire amendé ou raisonné, le Gouvernement est responsable politiquement devant le Parlement, ce qui impose une entité politique à ce pouvoir exécutif. Cette manière de procéder a l'avantage d'instaurer une coalition durable et un gouvernement fort qui pourront rassurer nos partenaires étrangers, d'après lui. Les tergiversations qui ont caractérisé le processus de la formation du nouveau gouvernement sont provoquées, selon certains, par le refus de la part de Nida Tounes d'assumer, pleinement, ses responsabilités en tant que parti majoritaire. Parmi eux, il y a Riadh Ben Fadhel, le leader du FP, qui voit dans la désignation d'un indépendant au poste de chef du gouvernement est une pure invention tunisienne, car dans toutes les démocraties, le parti vainqueur des élections se charge de placer l'un de ses militants à la tête du pouvoir exécutif. Dans la situation actuelle, il serait difficile de demander des comptes à un chef du gouvernement qui est indépendant. « C'est pourquoi on a demandé à Nida Tounes de mettre en place des mécanismes, garantissant l'application des points du programme gouvernemental sur lesquels on est d'accord », explique Ben Fadhel. Au-delà de toutes ces insuffisances relevées par des juristes et des politiques, une chose est presque sûre : le prochain gouvernement sera formé de cinq partis politiques, à savoir Nida Tounes, Afek Tounes, l'UPL, Al Moubadra et Ennahdha, et à l'exclusion du Front populaire qui sera le chef de file de l'opposition. On peut dire que la « prophétie » de Rached Gahnnouchi s'est réalisée, puisqu'il y a deux jours il a déclaré qu'il était fort probable qu'un gouvernement, réunissant plusieurs courants politiques, soit formé. Nous voilà, donc, face à un gouvernement d'unité nationale, celui qui était tant préconisé par son Mouvement. Sera-t-il, vraiment, celui de la concorde ?