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Moncef Ouannès, professeur de sociologie spécialiste de la Libye au Temps: «La décision de Tunis d'ouvrir deux consulats dans l'Est et l'Ouest de Libye est une erreur politique monumentale»
Professeur de sociologie à la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis, Moncef Ouannès est l'un des rares spécialistes de la Libye. L'auteur des livres «Révolte et reconstruction en Libye, le roi et le rebelle» et «Militaires, Elites et Modernisation dans la Libye contemporaine», estime que la décision du gouvernement tunisien d'ouvrir deux consulats à Tripoli et à Toubrouk signifie à une reconnaissance du gouvernement et du Parlement soutenus par les milices de «Fajr Libya» et mis au ban de la communauté internationale depuis juin 2014. Entretien. Le Temps: Comment jugez-vous la position officielle tunisienne opposée à toute intervention militaire étrangère en Libye ? Moncef Ouannès :C'est une excellente décision dans la mesure où elle émane d'une concertation approfondie entre la Tunisie et l'Algérie. Cette concertation est très importante, notamment dans le contexte actuel. En 2011, la Tunisie a commis la maladresse d'avoir été favorable à une intervention militaire étrangère en Libye. Elle a même fourni un soutien logistique à l'opération militaire «Unified Protector» menée par l'OTAN et qui avait alors dépassé son objectif avoué de la simple protection des civils, en déployant au sol de forces spéciales pour aider les rebelles. L'ouverture par Tunis de deux consulats, l'un à Tobrouk auprès du gouvernement reconnu par la communauté internationale et l'autre auprès du gouvernement parallèle mis en place par le Congrès général national (CGN), constitue-t-elle une bonne décision ? La décision d'ouvrir deux consulats dans l'Est (Tobrouk) et l'Ouest de Libye (Tripoli) est une erreur politique monumentale. Cette décision peut en effet être interprétée comme étant une reconnaissance du Congrès Général National (CGN), le premier parlement post-Kadhafi dont le mandat a expiré avec les élections législatives du 25 juin 2014, et du gouvernement parallèle que cet organe législatif actuellement non reconnu par la communauté internationale a mis en place. Le CGN qui a été réactivé après l'expiration de son mandat et le gouvernement parallèle qu'il a constitué sont soutenus par les milices pro-islamistes de «Fajr Libya» ainsi que par des pays arabes dont les régimes sont proches de la mouvance islamiste comme le Qatar, la Turquie et le Soudan. Le fait d'ouvrir des représentations diplomatiques à Tripoli et à Tobrouk revient à mettre sur un pied d'égalité un gouvernement élu et reconnu par la communauté internationale et un gouvernement qui a perdu sa légitimité. Une solution politique au conflit libyen est-elle envisageable ? Un consensus entre les belligérants en Libye est très difficile. Le conflit armé va se poursuivre encore pendant plusieurs mois, voire de longues années en fonction de la volonté et des intérêts des forces occultes qui détiennent les commandes. L'Etat islamique (EI) en Libye, qui est une émanation de l'Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) plus connu sous l'appellation de Daesh, n'est qu'un instrument aux mains d'une coalition secrète regroupant notamment les Etats-Unis, la Turquie, l'Arabie Saoudite et le Qatar. Preuve en est: dans le contexte de la guerre contre l'EIIL, Washington et ses alliés sont parvenus à faire d'une pierre deux coups. En plus d'avoir révoqué le président irakien politique Nouri al Maliki qui s'est montré problématique en raison de son opposition à la présence militaire des Etats-Unis en Irak, ainsi que pour son fervent soutien à la Syrie et à son président Assad, l'Oncle Sam et ses alliés ont également créé les conditions pour le démembrement de l'Etat irakien. La coalition secrète soutient en réalité l'indépendance de la région kurde au nord du pays en utilisant l'EIIL comme prétexte pratique pour armer et soutenir ouvertement les forces kurdes. Pour Washington, armer et soutenir Daesh revient à instaurer une peur permanente pour rester en état de guerre, avec toutes les possibilités de contrôle des populations et des richesses qui en découlent. Daesh est en quelque sorte l'homme de main de la politique étrangère américaine, une force mandatée qui promeut l'agenda américain. Cette nébuleuse terroriste déblaie toujours le terrain pour que la cavalerie américaine débarque. Un rapport publié récemment par le Centre International des Etudes de Radicalisations de Londres(ICSR) a révélé que la Tunisie est le premier pourvoyeur de l'Etat Islamique en Irak et au levant EIIL (Daesh) en combattants, avec 3000 éléments actifs. Comment expliquez-vous cela alors que la société tunisienne est présentée comme étant la plus sécularisée dans le monde arabe ? Plusieurs facteurs expliquent le fait que la Tunisie soit le premier pourvoyeur de l'Etat islamique en combattants. Il s'agit notamment de l'échec de la politique officielle en matière d'encadrement des jeunes et de la politique religieuse adoptée sous le règne de Bourguiba et de Ben Ali, laquelle a anéanti la crédibilité des oulémas, des imams et des cheikhs de l'institution Ezzeïtouna. Il ne faut pas aussi oublier que le taux d'analphabétisme reste quand même élevé en Tunisie, ce qui favorise le recrutement de djihadistes dans les milieux des jeunes illettrés. A cela s'ajoutent la nature influençable du Tunisien et sa grande fragilité psychologique et sociale. Un seul imam à Rouhia, un village de quelque 4000 âmes, a d'ailleurs réussi à convaincre plus de 200 jeunes de partir combattre le régime de Bachar Al Assad en Syrie.