A Tunis, les salles de cinéma ferment l'une après l'autre. Et lorsqu'elles ne ferment pas, elles font autre chose pour survivre. Un état de fait qui souligne la disparition progressive des équipements culturels du centre-ville au profit de la banlieue nord. Mais peut-on encore vivre dans une capitale sans culture, dans une ville déboussolée et en perte de rayonnement? Sur les planches du Colisée, les actuels rois de l'estrade se succèdent devant une salle pleine à craquer... Pour ce mois d'avril, Jaafar Gasmi, Lotfi Abdelli et Nour Chiba draineront des foules conséquentes dans ce qui fut la "reine" des salles de cinéma de Tunis. Car cela fait longtemps que le Colisée n'est plus un cinéma. Ou du moins, cela fait un bon moment que le cinéma n'y fait plus recette, poussant les gérants des lieux à cette diversification rendue nécessaire par l'air du temps. Une hécatombe aggravée par l'indifférence Au centre-ville de Tunis, les choses ont en effet lentement évolué dans le mauvais sens pour l'animation culturelle. Au début, ce furent les cinémas qui ont commence à fermer. Chaque rideau qui se baissait entraînait dans le temps une levée des boucliers, une salve de commentaires indignés. Mais rien n'y fit et les salles de cinéma, prestigieuses ou populaires fermèrent leurs portes l'une après l'autre... Cette danse macabre commença avec le Palmarium puis ce fut une véritable hécatombe qui entraîna la disparition du Cinémonde, du Globe, du Biarritz, du Kléber, du Marivaux ou du Studio 38. Le mouvement s'est poursuivi jusqu'à ces dernières années lorsque le Capitole ou le Ciné Soir ont à leur tour baissé le rideau dans l'indifférence générale. Au final, il ne reste à Tunis qu'une poignée de salles de cinéma dont le Colisée, le Palace, l'ABC ou le Parnasse. De nos jours en Tunisie, statistiquement, il existerait une salle de cinéma pour un million d'habitants... Les rares cinémas qui existent encore ont, depuis quelques années renoncé à proposer au public les traditionnelles séances en soirée. En fait, c'est désormais la deuxième matinée programmée à 18h qui fait office de soirée, avec un public qui se fait de plus en plus rare. Cet état de fait est dû à une conjonction de facteurs dont l'insécurité relative au centre-ville n'est pas le moindre. Par ailleurs, l'indigence de la programmation et la disparition quasi-totale des équipements culturels du centre-ville constituent des facteurs aggravant cette désaffection. Au cœur de Tunis, seuls le Théâtre municipal et le Quatrième Art proposent des programmes réguliers simultanément aux actions du Rio, d'El Hamra et du Mondial, trois espaces culturels privés installés dans d'anciens cinémas. Les maisons Ibn Rachiq et Ibn Khaldoun complètent cette offre de plus en plus étique. Ainsi, en ville, il n'existe plus de galeries d'art ni de cinéma de référence. En fait, le centre de gravité culturel de la capitale s'est déplacé vers la banlieue nord. Des espaces comme l'Agora ou Mad'art proposent ainsi une programmation cinématographique alors que libraires et galeristes se sont installés dans les quartiers de La Marsa, Carthage, Sidi Bou Saïd, La Soukra et Gammarth. Tout le reste n'est quasiment que désert, avec un mirage persistant: celui de la future cité de la Culture, un miroir aux alouettes dont le chantier est entré dans sa 18ème année! On se souvient que ce projet avait été annoncé en 1997 par le ministre Abdelbaki Hermassi, lors de l'année Tunis capitale culturelle de l'Unesco. Quand on pense que le centre-ville de Tunis faisait la fierté de tout un pays en matière de culture, il est difficile de ne pas céder aux lamentations... C'est anecdotique de mentionner qu'aujourd'hui, les rares cinémas ayant survécu n'organisent plus de soirées mais cela révèle un mal plus profond, celui de la disparition de la culture au profit d'une gabegie urbaine qui n'honore personne. Une page est en train de se tourner dans l'histoire de la capitale qui de nos jours n'a plus de véritable rayonnement culturel et peut être comparé à une ville sinistrée dans ce domaine. Le Septième Art va-t-il rouvrir ses portes? En ce sens, les ruines béantes de l'ancienne Société tunisienne de diffusion (STD) qui fut la plus grande librairie de la capitale peuvent avoir une valeur de métaphore. Tout comme l'interminable chantier de la cité de la Culture qui ne saurait être la feuille de vigne cachant la nudité coupable de notre infrastructure, Pendant ce temps, les cinémas tombent comme les mouches et ceux qui n'ont pas encore fermé font autre chose pour survivre. Au Palace, on vend des amandes et des bonbons, au Parnasse, ce sont des cafés qui font figure de vitrine alors que la salle de projection qui se trouve au premier étage est invisible et au Colisée, ce sont les comiques et les chanteurs qui tiennent le haut du pavé. A quelques pas de la "reine" des salles de nos jours détrônée par une lame de fond anti-culture, au milieu d'une rue de Marseille déboussolée, une autre salle de cinéma est en train de disparaître sans crier gare. Il s'agit du Septième Art, fermé depuis quelques mois pour les besoins d'un chantier dont on ne dit pas s'il est destiné à réaménager la salle ou simplement l'effacer. Dans l'indifférence générale, ce chantier se poursuit et nul ne demande de nouvelles de cette petite salle. C'est vrai que plus personne n'a l'esprit au cinéma...