A l'aube de l'indépendance, deux métiers faisaient rêver : médecin et ingénieur. Et puisque la Tunisie nouvelle a eu l'intelligence de rester tournée vers l'Occident, de ne guère nourrir de haine à l'endroit du colonisateur d'hier, les médecins et les ingénieurs des temps héroïques du nouvel Etat sortaient des facultés françaises et rivalisaient même avec les Français. De surcroît, nos premiers ingénieurs (et surtout les ingénieurs en hydraulique), devaient suivre de sérieux cursus dont plusieurs prenaient pour référence, les aqueducs romains, leur cheminement, leur mécanisme... Les Tunisiens étaient en terrain conquis. Quant à leurs compères des ponts et chaussées, leurs précepteurs les enviaient d'avoir pour capitale, Tunis, une ville bâtie sur un terrain vaseux. Deux domaines, deux thématiques, dans lesquels les ingénieurs tunisiens devraient être « culturellement » imprégnés. Trouverait-on anormal que les meilleurs œnologues au monde (les ingénieurs en vins), soient français ? Depuis ces temps héroïques, beaucoup d'eau (x) a coulé sous les ponts. Tunis s'élargissait... Elle privilégiait l'approche horizontale – occupation rationnelle du sol, selon les urbanistes – mais ne s'aventurait pas outre mesure dans l'ambition verticale, surtout après cette problématique construction de l'Africa, pour laquelle il fallait recourir aux grandes technologies pour lui éviter le sort « penché » de la Tour de Pise. Le métro qui devait, quand même, être souterrain (oui malgré le terrain vaseux) vint chambouler les schémas directeurs. On éventrait Bab Souika, dont la fin du tunnel, toujours assoiffé d'eau, donnait sur le début de cette avenue 20 Mars du Bardo, transformée en une espèce de lac aux premières pluies, après son aménagement. Tunis s'élargissait donc. Et le tribut de la modernité ce ne pouvait être que cette confusion urbaine, l'élargissement – abusif - de la ceinture verte, les déclassements de terrains (de zones vertes en zones d'habitations), l'habitat anarchique, les commerces anarchiques sous l'œil à demi-ouvert des communes. Et alors où vont les eaux ? Par quels canaux les évacuer ? Et d'où vient que nos ingénieurs, la fierté de l'enseignement, donnent l'impression de ne pas entendre le ciel gronder ?