L'industrie « takfiriste » a certainement pris une longueur d'avance sur l'Etat démocratique et civil du fait d'un ensemble de facteurs propres à la nature même du système démocratique d'une part, et à la nature même du phénomène religieux, d'autre part, qui, au nom de la transcendance, arrive à mettre sous tutelle une bonne partie du corps social. La nouvelle répartition des pouvoirs avec un équilibre plutôt à l'avantage du Parlement sur l'exécutif, a limité la liberté de manœuvre de l'Etat gouvernant même en temps de crise. Nous sommes très loin de cette conception « présidentialiste » du pouvoir où le chef dit... et la logistique suit. « L'ordre » est bien minoritaire en ces jours de laisser -aller intégral ! Dans les Démocraties classiques avancées, le déficit du « surpouvoir » et de l'exécutif, a été comblé par une stricte application de la loi à tous les niveaux de la vie active, politique économique et sociale. C'est pour cela qu'en Démocratie, on a l'impression que les gouvernements sont « faibles », alors qu'ils ne le sont pas. L'attitude d'un David Cameron, Premier ministre britannique, pour mater les dépassements de la rue, a été sans équivoque, ni état d'âme ! En Tunisie, nous sommes au « 15ème siècle » (de l'Hégire) et donc séparés de quelques siècles de l'expérience démocratique effective de l'Etat de Droit, où la loi est la sanction, mais aussi la liberté. Les Allemands ont pour devise : « Ma liberté... c'est la loi », et idem pour les Américains qui voient en leur Constitution, la sacralité suprême. En Tunisie, toutes les composantes de la mobilisation « religieuse » s'estiment au dessus des lois « terrestres » parce qu'elles disent se référer à la loi de Dieu. Mais, là où il y a ambiguïté, c'est quand nous faisons, chacun selon ses convictions, sa culture et son comportement héréditaire, sa propre interprétation de la volonté de Dieu, sa parole sacrée et la « Sira » de notre Prophète vénéré Mohamed (SAWASA). La « takfiriste » de droite serait lui-même un « kafer » de gauche et vice-versa. L'assassin de Sousse est-il musulman ou « kafer » ! Et le nouveau « clergé » de certaines maisons jihadistes, est-il vraiment le serviteur de Dieu et son prophète ! Une « mosquée » qui prend la vocation d'un dépôt de munition et d'une salle de formation et d'opérations terroristes est-elle une « maison de Dieu » ou tout simplement une forteresse de guerre ? D'où cette hésitation chez les uns et les autres à se prononcer sur quelque chose qui leur est cher : l'Islam, Dieu et son Prophète vénéré. La nationalisation de la religion a été la grande perdante de la Révolution. L'Islam politique qui a sorti la tête de l'eau après des années de répression, a voulu enfoncer le clou après sa victoire aux élections de la Constituante, pour engager en profondeur la destruction de la modernisation et la mise en place de « l'Etat islamique » nouveau sur le court moyen et le long terme. La multiplication des structures d'encadrement des quartiers populaires autour des grandes villes, des associations dites « coraniques » et l'appel aux prédicateurs parmi les plus grandes « gueules » des Frères musulmans d'Egypte, d'Arabie Saoudite, du Koweït et d'ailleurs, financés par les wahabites du golfe à fonds perdus et encouragés par les stratèges américains du Département d'Etat a failli accélérer le processus « d'islamisation » de l'Etat, n'était-ce, quelques accidents de parcours qui ont ralenti le processus. D'abord, l'absence de maîtrise de la centrale islamiste « la Nahdha », sur « Ansar Achariaâ », qui avaient leur agenda propre en relation avec l'Aqmi au Maghreb et El Qaïda. Leur perception de « la société islamique », et de l'Islam politique, en général, ne coïncidait pas surtout au niveau des étapes d'exécution et d'évolution du projet. Puis, vinrent les assassinats politiques des leaders socio-nationalistes arabes, Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, qui ont été d'une très grande contrariété pour la finalisation, et la mise en œuvre du nouveau modèle. Enfin, l'erreur fatale de l'attaque de l'Ambassade américaine à Tunis, les a mis en porte-à-faux avec la puissance « protectrice » mondiale qui a le plus misé sur l'Islam politique comme modèle de substitution et de rechange dans les sociétés du Moyen Orient et du Maghreb. Toutes ces erreurs de parcours et d'appréciation ont enfanté la révolte farouche de la liberté et le courage de la rébellion dans ce peuple héroïque du Bardo qui a campé des nuits entières pour dire son ras-le-bol et son refus de voir son pays millénaire à la culture méditerranéenne brillante, basculer dans l'obscurantisme médiéval et se faire réduire au nouvel « esclavage » tyrannique des prédicateurs d'Orient. Quand vous voyez cette dame saoudienne se faire presque agresser parce qu'elle ne porte pas des gants en plus de la tunique noire du Niqab, et quand vous voyez cette dame marocaine condamnée parce qu'elle ose porter une robe (pourtant pas courte) vous ne pouvez que comprendre et apprécier le million de femmes tunisiennes qui ont voté pour M. Béji Caïd Essebsi, pour protéger leurs droits inaliénables et leurs libertés fondamentales menacés par les « martiens » fanatiques. Au vu de tout cela, peut-on dire que le modèle « obscurantiste » est bien derrière nous ! Rien de sûr et de rassurant ! L'investissement idéologique à fortes doses a été mené de main de maître, avec une habileté et un savoir-faire déconcertants. En position de faiblesse, ces mouvements deviennent les plus « civils » des démocrates, les plus proches des alliés de l'Occident et surtout la nouvelle mère nourricière de l'Amérique « pro-islamiste ». Mais dès que l'orage est passé, on reprend le flambeau de la reconquête « prescrite » afin de ramener le pays vers le droit chemin et accomplir ce qu'ils considèrent la voie et la « cité de Dieu ». Rien qu'avant-hier, un journal proche de ces courants de l'Islam politique aux multiples facettes titrait en manchette : « La fermeture des maisons de Dieu ne peut qu'encourager le terrorisme « ! Oui, pour ces Messieurs, un lieu de lavage de cerveaux, takfiriste, où l'on appelle au meurtre et qui forme des terroristes en puissance est un lieu où on pratique la « religion » ! Et dire que l'Islam est aux antipodes de cette culture du crime, contre la vie. L'Islam, c'est la liberté, le bonheur et la vie ! Arrêtez de prendre les Tunisiens pour des tarés. L'école tunisienne a plus de trois mille ans! K.G