Par Khaled Guezmir Il ne faut pas être Jean de la Fontaine, pour savoir que chaque été a ses cigales et ses fourmis. Les unes, pourtant moins nombreuses occupent l'espace audible par le chant, les autres constituent la majorité silencieuse, celle qui veille au grain et essaie de faire œuvre utile. Le paysage politique a les mêmes caractéristiques. Il y a ceux qui luttent pour la vie et qui persévèrent et il y a ceux qui ont le verbe facile, à telle enseigne qu'ils n'arrivent presque jamais à les traduire en actes et de peser sur les événements. D'où ces chants contradictoires que certaines de nos cigales sous le coup de la chaleur et du Ramadan, déversent sans prendre la peine de rationaliser leurs partitions et surtout comprendre que les Tunisiens et les Tunisiennes ont l'ouïe sensible et l'oreille musicale et cela c'est la diva Oum Kalthoum, le grand Abdelwaheb et le rossignol libanais Wadiï Safi qui le reconnaissent avec beaucoup d'humilité ! Essayons de sonder les chants de l'été en cours et la première composition tourne autour de « l'Etat démocratique et civil » ! Beaucoup d'acteurs politiques du parti au pouvoir développent et c'est leur droit le plus absolu, la thèse que ce qui se passe en Egypte est un vulgaire coup d'Etat militaire contre la légitimité électorale (jusque-là ça tient parfaitement) et contre l'Etat civil et démocratique ! Alors là ça casse ! Ces messieurs devraient nous expliquer comment les Frères musulmans qui ont toujours été pour l'Etat islamique adossé à la Chariaâ, veulent-ils construire un Etat démocratique aux normes universelles en Egypte et ailleurs. C'est là le problème fondamental que toutes les mouvances islamiques y compris les nôtres en Tunisie doivent résoudre un jour ou l'autre. S'il s'agit de dire n'importe quoi pour rassurer les démocrates arabes, désignés péjorativement par les élites « rationalistes » (Ilmaniyines » et avec eux l'Occident démocratique il y a là quelque chose qui ressemblerait à un « chant » plutôt proche de la désinformation. Et s'il s'agit d'une option irrévocable et sincère pour bâtir en terre d'Islam des démocraties aux normes universelles, alors pourquoi ces constitutions qui trainent en longueur parce qu'elles refusent justement l'essence même de la démocratie où l'on sépare l'Etat de la religion, où l'on sépare les pouvoirs, où l'on accepte en toute responsabilité l'alternance pacifique au pouvoir, la liberté du culte y compris sa manière de pratiquer l'Islam, la liberté des femmes etc… etc…. Pourquoi toutes ces « milices » déguisées en associations de protection de la Révolution et qui disputent à l'Etat l'une de ses prérogatives essentielle : « La possession souveraine des moyens de la violence légale » à savoir, les armes de toutes sortes. Pourquoi, enfin, ces lois « scélérates » pour exclure des adversaires politiques crédibles au nom de « l'immunisation de la Révolution », tout en sachant que chaque citoyen a sa propre vision et lecture des objectifs de la Révolution ! Un pur produit de la Nahdha des années de braises que j'aime bien parfois parce qu'il est capable par son franc-parler de dire et de gêner ses propres « supérieurs » dans la hiérarchie de la centrale islamiste et qui est M. Habib Ellouze, disait récemment « qu'il ne comprenait pas pourquoi les élites (ilmaniya) ont-ils si peur de l'Islam politique quant à l'Etat civil… ». L'Islam, pour ce haut dirigeant de la Choura (conseil) est d'essence même « démocratique » et « civil » ! Mon Dieu, ce « chant » nous fait perdre la tête par sa beauté « tactique » et sa rigueur scientifique ! Seul, hic, c'est qu'à ce jour aucune démocratie civile et démocratique n'a pu être édifiée en terre d'Islam depuis la mort du Prophète vénéré Mohamed (SAWS) et le court règne du Calife Abou-Bakr. Déjà à cette époque des troubles et des manifestations d'opposants ont été éteintes par le sang. Puis, viennent les drames des assassinats des califes Omar, Othmane et Ali et surtout le lynchage inhumains des petits-fils du Prophète lui-même, Al Hassen et Al Hussein et qui sont encore à l'origine de bien de guerres locales et régionales à ce jour. Alors il va falloir s'entendre et passer du statut de « cigales » à celui de « fourmis » travailleuses disciplinées et surtout conséquentes avec elles mêmes. Pour cela, les partis islamiques doivent réellement accepter une règle intangible aujourd'hui : Il n'y a pas de démocratie islamique, chrétienne, juive, bouddhiste ou marxiste ! Il y a tout simplement « la démocratie » qui consiste à l'institutionnalisation des Etats et l'acceptation du contrat social et politique qui la soutend avec le respect dans la lettre et la pratique des normes « occidentales » devenus au fil des siècles la norme universelle. Ceci n'empêche en rien l'attachement à l'identité arabo-musulmane ou autre, à la culture spécifique des peuples. Nous sommes musulmans et démocrates. Mais, il apparaît de plus en plus éphémère et chimérique de dire nous sommes « islamistes » (politiques) et démocrates. L'Egypte le confirme et se voit au bord de l'implosion et la guerre civile. En Syrie, l'opposition démocratique s'en va en guerre contre le mauvais « allié » d'hier, les rebelles islamistes d'El Kaïda et comprend maintenant, son erreur stratégique fatale. La Tunisie demeure jusque-là l'exception heureuse parce que jusqu'à présent on n'a pas encore désespéré totalement de l'Islam politique et de son évolution possible vers plus de tolérance de modération et d'ouverture sur la culture universelle. L'Islam politique tunisien peut être un précurseur mais le temps presse et après l'été c'est l'automne. Les cigales ne récolteront que les échos de leurs chants éphémères et irrationnels et les fourmis auront bien mérité leur bonne récolte !