Les doctrinaires politistes lient l'évolution démocratique des systèmes et des nations à deux faits majeurs qui ont accompagné historiquement ce processus : l'affaiblissement de l'exécutif et le recul de la tradition religieuse ! D'ailleurs, cette démarche a été initiée en Angleterre, la mère des démocraties modernes, depuis les « chartes de 1215 » et la finalisation par le « Bill of rights » de 1689. L'Angleterre pour l'Europe et l'Occident en général a été, à ces époques, ce que la Tunisie essaie d'être aujourd'hui pour le monde arabo-musulman. L'institutionnalisation de la démocratie passe par la séparation des pouvoirs, mais aussi par un certain équilibre entre ces mêmes pouvoirs avec évidemment la sauvegarde de la vocation de chacun d'eux, y compris la vocation de gouvernement de l'exécutif qui a toujours posé problème. En effet, peut-on déposséder les gouvernants de cette aptitude à prendre des décisions parfois douloureuses et impopulaires, mais, nécessaires à la stabilité des sociétés et surtout la sécurité, élément essentiel pour le bon « vivre ensemble ». C'est là qu'apparaît le rôle majeur de la « loi ». En effet, c'est la loi qui permet l'usage extrême de la violence légale y compris par la force et la contrainte physique synonyme de privation de liberté, pour les contrevenants à la loi et les présumés coupables. Or, un Etat dépossédé du pouvoir « coercitif » ne peut jamais assurer sa vocation de maintien de l'ordre ou même d'assurer le bon fonctionnement de la justice, parce que celle-ci a besoin des éléments « physiques » de l'application de la loi y compris les arrestations, l'emprisonnement et tout autre exécution de jugements. La démocratie c'est la combinaison de la liberté de choisir « ses » gouvernants mais aussi de permettre aux institutions de fonctionner et de prendre des décisions. En Tunisie notre jeune démocratie a démarré avec une remise en question de « l'Etat » et pas seulement des gouvernants de l'ancien régime. D'où cette démarche hallucinante de vouloir porter des coups mortels à « l'ordre étatique ancien » et d'en créer un nouveau. Or, c'est là que les pistes ont été brouillées. Je m'explique plus terre à terre. Imaginez la Tunisie post-révolutionnaire, une fois la dictature dégommée avec ses promoteurs, sans cette pagaille identitaire dans les mosquées d'une part et d'autre part, sans ces grèves tournantes et à répétition surtout dans le secteur public qu'on veut aujourd'hui, maintenir sous contrôle de l'Etat alors qu'on ne fait que le ruiner par ces mêmes grèves. Notre pays serait aussi prospère que l'Espagne et la Pologne, après Franco et Jaruzelski ! Nous avons été confrontés avec les quatre années de transition « révolutionnaire » à une overdose religieuse et identitaire d'un côté et une overdose sociale revendicative et de blocage de la production et de la culture du travail. Or, si on parle « d'acquis » depuis l'indépendance, ça concerne directement ces domaines vitaux, l'un spirituel et l'autre matériel avec cette exigence d'améliorer les conditions de vie des citoyennes et des citoyens toutes catégories confondues. Revoyez les vieux journaux et les vieux documentaires d'époque, de 1956 à 1970 et vous verrez à quel point ce pays était handicapé par la pauvreté, l'indigence le manque d'infrastructure sans parler de l'analphabétisme qui avoisinait les 90% de la population. Mais le pays a été porté avec tous ces legs de la décadence médiévale de plusieurs siècles, par cette volonté farouche et déterminée, de construire et d'aller de l'avant. La question identitaire a été « bousculée » par Bourguiba mais réglée par une synthèse entre Sadiki et la Zitouna, entre la modernité et l'identité islamique spécifique tunisienne, d'où ce miracle « tunisien » du Code du Statut Personnel qui a libéré la femme tunisienne, mais sauvegardé la famille et les traditions ancestrales de ce pays dans son Islam libérateur, bienfaiteur et heureux. Certains leaders islamistes parlent encore aujourd'hui, de cette période comme « une désertification » ! Ils ont tort et sont totalement en dehors de la plaque ! La vraie « désertification » c'est celle que notre Islam tolérant modéré et heureux a subi du fait de l'idéologie « politique » qui l'a poussé à l'extrémisme et à la terreur ! Les « terroristes » d'aujourd'hui sont bien la « génération » de Ben Ali en termes d'âge, mais en aucune manière le produit d'une « désertification » dont on accuse Bourguiba et son système éducatif ! Mais alors, messieurs les « islamistes politiques » que faites vous des quarante ans de mobilisation idéologique des prédicateurs et « Douaât » acharnés dans les mosquées, les associations secrètes et dans les prisons, pendant les années de braise et de répression « politique »... mais non religieuse ! Le mouvement islamique du MTI et d'Ennahdha qui en a prit le relai, a milité « politiquement » certes, pour la liberté, la démocratie et les droits de l'Homme. Il a été réprimé très sévèrement aussi pour cela. Mais, on ne peut occulter le fait que ce mouvement a utilisé la religion et une certaine lecture des textes sacrés, du Saint Coran et de la « Sunna » de notre Prophète vénéré Mohamed (SAWASALM) pour créer un nouvel « ordre politique », religieux, un nouveau modèle de société et qu'il a, d'ailleurs, un peu expérimenté une fois porté au pouvoir après la Révolution. Le résultat de ces deux « dérives » ou bifurcations de l'Islam politique d'un côté et de la mobilisation sociale et syndicale excessive de l'autre a donné la situation que nous vivons aujourd'hui marquée par l'affaiblissement de l'Etat national moderne et de l'affaissement de la culture du travail et de l'entreprise. Mais, alors, quid des solutions ?! Simple... comme bonjour : Moins de politisation de la religion et moins de revendications sociales à l'excès ! Désolé.... C'est très compliqué à faire et à réaliser, parce que les deux processus sont largement entamés et engagés avec un sous-bassement historique très lointain et parce que chaque « modèle » tient à « sa part » d'Etat et de pouvoir ! Mais, la Tunisie n'a pas d'autre choix. Sinon, c'est ou la « soviétatisation » de l'économie et de l'Etat des années 60, avec un retour à l'Etat employeur, promoteur, commerçant, agriculteur et même musicien et artiste. Ou de l'autre côté un système à l'iranienne, où les « imams » font les lois... et la loi ! La Tunisie mérite mieux !