« Le péché du succès » un intitulé d'une pièce de théâtre mise en scène par Meriam Bousselmi. La création est une Coproduction de : Akademie der Kunst der Welt Köln, Festival Globalize Cologne 2013, Theater and Der ruhr & Le festival culturel international de théâtre de Bejaia. avec la participation de comédiennes de nationalité arabe Amal Omran ( Syrie), Amal Aouch (Maroc), Mouni Bouallem (Algérie), Ayet Madgy (Egypte), Fatiha Ouaarad (Algérie), Djouhera Dreghla (Algérie), et un percussionniste kabyle Younes Kati (Algérie). Une œuvre qui tire d'une autobiographie, le scénario d'une réalité amère, celle de l'auteur et de toute femme aspirant à la constellation. Cette œuvre théâtrale mérite attention! D'emblée, le titre nous installe dans un univers de désenchantement, un titre- incipit qui braque en toute lumière le paradoxe dans un euphémisme artistique ! Un titre emblématique, nourri d'oxymore : péchés (registre religieux, métaphysique)/ réussite (registre social, existentiel), mais aussi sémiologique : péchés (substantif dépréciatif désignant l'ex-communion / la réussite (substantif appréciatif symbolisant la persistance, l'acte de s'imposer, de signer le moi, de s'affirmer, de crier ‘je' à pleine voix. on apprend cependant, que l'acte de réussir est sévèrement condamné, particulièrement au sujet de la femme! Un fait de conscience, une responsabilité historique La pièce s'ouvre sur une scène dont le décor est bien significatif, fondé sur un travail de métonymie et de symboles : « un tapis rouge » rappelant les officialités, une femme bien vêtue ballottée entre l'ascension et la chute ; « un coffret », réservoir d'objets précieux. Ce préambule est suivi d'un discours de femmes, minuscules et alourdies, commentant l'histoire d'une jeune créatrice, une femme de théâtre d'une trentaine d'années, dénigrée pour sa réussite. On lui a usurpé son prix, on l'a écartée de la lumière et on lui a brisé ses rêves, sa joie, son moi. Cette dernière a réagi en optant pour le silence ; une réaction imprévisible qui a suscité une floraison du discours dans tous ses degrés, oscillant entre profondeur et superficialité, impliquant une multiplicité d'interprétations qui décale dans les rumeurs et les médisances des rivaux. Cette atmosphère de malsainité et d'indécence, est le résultat de tout un contexte sociopolitique, propice à l'erreur, au dépassement, à l'injustice, aux chambardements des valeurs après la « révolution », vu l'excès de la prise de parole et de la liberté irresponsable. La metteure en scène Meriam Bousselmi a focalisé sur un aspect de la mentalité phallocratique dans son pays. Elle analyse les dessous de la société masculine qui n'admet pas l'émergence de la femme et sa réussite à son détriment, voire dans les sociétés prétendant la modernité et dont l'histoire de l'émancipation féminine était remarquable, à l'instar de la Tunisie. L'émancipation est un acte de conscience, de responsabilité historique, un comportement culturel, une conviction, une foi, c'est le message fondamental véhiculé par l'œuvre. La femme arabe est-elle victime, ou participe-t-elle à sa victimisation ? L'auteure ne s'est pas arrêtée sur l'ici- maintenant, elle a traité ce sujet à une échelle plus large : Quatre comédiennes de nationalités arabes, un choix pas du tout arbitraire ! La condition féminine dans le monde oriental recouvre encore les bouches d'écume, les négociations demeurent éternelles. Meriam Bousselmi a renvoyé la problématique, dans un second décor, à l'Histoire du Monde Arabo-Musulman. Le recours à des récits, extraits de l'époque ancienne musulmane est conçu comme une assise pour bien certifier sa position et son analyse. Cette immersion dans l'histoire est en vue de la condamner en explicitant les racines d'une telle décadence mentale de la société phallocratique. Cependant les questions qui se posent et s'imposent : qu'elle est le véritable rôle de la femme ? Est-elle victime de sa condition lamentable ou participative à sa victimisation ? Supporte-t-elle le fardeau de la lutte ou succombe-t-elle au moindre souffle du vent ? Suffit-il d'accuser l'autre et se taire, ou passer à l'acte en toute responsabilité et conscience ? À ce niveau, l'attitude de la metteure en scène était un peu embrouillée, par moment ébranlée, hésitant entre l'affirmation du moi et sa négation. Au début, elle a poussé à l'extrême la fin de son personnage à un destin tragique, dans un moment d'épuisement et d'abandon, de faiblesse et de fragilité en choisissant le silence et l'écartement volontaire (la scène du podium) le suicide, comme acte de fin, et dans la dernière scène en supportant la flagellation. Néanmoins, elle se rattrape, ensuite, dans un autre discours pour dire non à la soumission, au sacrifice, non à la privation et à la négation du moi, et ce, à travers la condamnation de l'acte du suicide, du silence en évitant de s'affronter à l'homme qui lui a usurpé le prix, et notamment à travers les récits des quatre comédiennes tirées de leurs propres expériences : Malgré les obstacles, elles sont parvenues à tracer leurs destins, à imposer leurs choix, à suivre la dictée de leurs consciences, libérées de tous les systèmes structurés et structurants, libérées de toutes les étiques qui ne font que décourager la femme, la décevoir, voire la détruire... Vouloir imprégner le spectateur, l'émouvoir, face au sort de cette jeune créatrice, est une finalité de la metteure en scène, fort perceptible dès le premier décor. On avoue qu'elle a réussi à toucher son affect, tant au niveau du discours qu'au niveau de l'esthétique de la pièce, grâce à sa saveur esthétique et à sa subtilité. La scène dégage une sensibilité au niveau de l'approche théâtrale, un travail savant sur les signes, sur la lumière, sur le jeu des comédiennes et sur l'effet de beauté de certains décors notamment vers la fin. Cependant, quelques imperfections ont alourdi la pièce. Un problème de dosage et d'économie a crée une sorte de redondance, les mêmes idées qui se répètent, elles ont ralenti le jeu des comédiens dans une lenteur pesante. Le texte est trop présent, il domine le jeu, il domine le comédien. Le discours direct par moment devient désagréable. Le recours à l'intertextualité (la fable du papillon, le récit tiré de l'histoire) a pesé lourd sur le déroulement du jeu. Je considère que ce sont des digressions qui n'ajoutent rien à la pièce. A mon égard, l'imperfection de la pièce réside dans un problème de condensation et d'économie. C'est bien dommage, d'autant plus qu'il y avait de belles scènes et une très belle sensibilité. Le pouvoir magique de la suggestion a débuté avec la scène des chaises et je crois que la représentation théâtrale a commencé avec cette scène c'est-à-dire vers la fin.