L'ancien président de la République Moncef Marzouki ressort la tête de l'eau. Et tente de surfer sur la vague de la contestation sociale qui a secoué plusieurs régions dans le sillage du décès par électrocution d'un jeune chômeur dans la région défavorisée de Kasserine. Invité vendredi sur le plateau de France 24, le président du mouvement Tunisie Volonté a évoqué la perspective de l'organisation d'élections législatives anticipées. «Il faut que toutes les composantes de la scène politique se réunissent autour d'une même table en vue d'examiner les solutions qui nous permettraient de sortir de l'ornière, dont la possibilité d'organiser des élections législatives anticipées», a-t-il déclaré. Et d'ajouter : «L'actuel Parlement est paralysé par ses propres contradictions. Au niveau de l'Assemblée, on est en effet en présence d'un parti qui ne veut pas assumer ses responsabilités (le mouvement Ennahdha, ndlr) et d'un autre parti qui a perdu toute légitimité suite à son implosion (Nidaâ Tounes»). L'ex-chef d'Etat a justifié son appel par «l'échec» du gouvernement Habib Essid une année après son installation. «Le pays a besoin d'un gouvernement d'union nationale qui soit fort. Le gouvernement actuel est le plus faible que je n'ai jamais connu», accusant le chef du gouvernement de «se comporter comme s'il était un commis auprès du président de la République en dépit des larges prérogatives que lui attribue la Constitution». Ironie de l'histoire, tout au long de son séjour au Palais de Carthage, Moncef Marzouki était allergique à toute critique contre le gouvernement formé alors par la Troïka, regroupant son ancien propre parti, le Congrès pour la République, le mouvement Ennahdha et le Forum démocratique pour le travail et les libertés. Au plus fort de la crise socio-politique de 2013-2014, le même Marzouki s'était cramponné à son douillet fauteuil présidentiel, brandissant alors l'argument de la légitimité des urnes et accusant les manifestants qui réclamaient la démission du gouvernement suite à la détérioration de la situation socio-économique de la Troïka de «putschistes». Changement de convictions? Amnésie? «Plutôt une soif inextinguible du pouvoir», répond Mezri Haddad, philosophe et ancien ambassadeur de la Tunisie auprès de l'UNESCO qui fut un temps très proche de l'ancien président de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l'Homme (LTDH). «Moncef Marzouki est capable de toutes les trahisons pour assouvir son obsession du pouvoir. Les droits de l'homme sont pour lui ce que l'Islam est pour les islamistes: une casuistique pour anesthésier les masses et une idéologie pour les assujettir. Toute sa vie, il a couru derrière les droits de l'homme pour attraper le pouvoir», écrit Mezri Haddad dans un commentaire publié sur son blog quelques heures après le passage de M. Marzouki sur France 24. C'est dire qu'en appelant à remettre à zéro le compteur de la transition politique, l'ancien président, qui ne semble pas encore avoir digéré la raclée électorale qu'il a subi durant les joutes électorales de 2014, apparaît très pressé de revenir au palais de Carthage qu'il a quitté il y a tout juste un an. «Une main invisible émiratie ?» Lors de son intervention sur France 24, l'ancien opposant notoire au régime de Ben Ali ne s'est pas contenté de descendre en flammes l'actuel exécutif. Il a aussi agité la sempiternelle théorie de complot contre un printemps arabe dont les fleurs se sont déjà fanées. «Certaines parties étrangères pourraient jouer la carte du terrorisme pour faire plonger la Tunisie dans le chaos. Tout un chacun sait que les Emirats arabes unis sont l'ennemi juré des révolutions arabes. Ce pays finance les putschs et crée de toutes pièces des partis politiques», a-t-il affirmé, estimant que «le printemps arabe est victime d'un grand complot aussi bien en Tunisie qu'en Libye et en Syrie». Selon lui, «les fonds débloqués par les Emirats sont allés dans les caisses de certains partis et non pas dans celles de l'Etat tunisien», une allusion limpide au mouvement Nidâa Tounes. Selon certains observateurs, l'ancien locataire du Palais de Carthage tente ainsi de galvaniser ses troupes promptes à adhérer à toutes sortes de théories de complot. Car s'il est vrai que la haine viscérale que voue les Emirats arabes aux partis islamistes ayant conquis le pouvoir à la faveur des révolutions arabes est un secret polichinelle, il n'en demeure pas moins que le fait de faire assumer la responsabilité de toute agitation sociale ou dérive citoyenne à ce petit richissime émirat pétrolier relève du conspirationnisme primaire et de la cécité intellectuelle. Quoi qu'il en soit, les accusations portées par M. Marzouki contre les Emirats arabes unis interviennent au moment où Tunis tente de réchauffer ses relations diplomatiques avec ce pays dont l'argent a tant irrigué l'économie égyptienne au cours des deux dernières années. Et c'est pour cette raison d'ailleurs que le ministère tunisien des Affaires étrangères a qualifié, dans un communiqué publié vendredi les déclarations de l'ancien président provisoire d' «irresponsables» et loué la volonté des Emirats de soutenir la Tunisie et de l'appuyer sur tous les plans. «Les déclarations de Moncef Marzouki sont de nature à perturber la sérénité des liens profonds qui unissent les deux pays et envenimer leurs relations privilégiées», a souligné le ministère dans son communiqué. «Tout en condamnant ces déclarations irresponsables et tout ce qui est de nature à impliquer la Tunisie dans une politiques d'axes, elle salue la volonté des Emirats arabes unis, gouvernement et peuple, d'appuyer la Tunisie et la soutenir sur tous les plans, réitérant sa détermination à imprimer un nouvel élan aux relations fraternelles privilégiées qui la lient aux EAU et s'engageant à les développer davantage dans l'intérêt commun», ajoute le même communiqué. A noter que le ministre des Affaires étrangères, Khémaïes Jhinaoui avait reçu jeudi dernier au siège de son département l'ambassadeur des Emirats arabes unis à Tunis, Salem Yssa Zaaibi, venu lui présenter les félicitations de son pays à l'occasion de sa nomination à la tête de la diplomatie tunisienne et lui transmettre une invitation à se rendre en visite à Abu Dhabi.