Nous l'avons rencontré une première fois dans les années quatre-vingt-dix, lors de la semaine culturelle tunisienne à Montmartre, puis croisé une seconde fois, dernièrement dans les galeries d'art de Tunis et banlieue...Il s'agit de Midani M'Barki, qui, outre ses expositions en France et à travers le monde, est Président Fondateur de l'association Paris-Montmartre et de la revue trimestrielle du même nom. Nul n'ignore que M'Barki consacre une grande partie de son énergie et de son temps à tisser des liens culturels entre les différentes nations ; de la Norvège à l'Italie, en passant par la Tunisie qui l'a vu naître et la France, son pays d'adoption, précisément à Paris où il a fait connaître et apprécier aussi bien l'école montmartroise que la création tunisienne à Paris. De retour au pays, le temps d'une exposition aux côtés de l'artiste Fathi Rebaï, nous l'avons revu à la Galerie Saladin à sidi Bou-Said et lui avons posé quelques questions. Entretien. Le Temps : Vous êtes originaire du Nord-Ouest tunisien, l'un des fiefs de la Révolution; pourrions-nous vous connaître mieux ? Midani M'Barki :Je suis né à Kasserine, en 1947, et j'ai passé les cinq premières années de ma vie dans cette région. C'était la pleine campagne, quelques maisonnettes éparpillées, des tentes, et pour tout moyens de transport, des chameaux ou des chevaux. Il n'y avait pas d'école, pas d'instituteurs, pas de structures d'apprentissage ... En remontant la Tunisie du Sud au Nord, sur les traces de mon père qui était recherché puis arrêté, pour actes de résistance, nous nous sommes retrouvés à Tunis. J'étais alors âgé d'environ 7 ans et j'ai eu la chance d'intégrer une école primaire expérimentale qui se trouvait à la Rue Sayada à Bellevue, Tunis ; une école mixte, première et unique du genre en Tunisie, aux méthodes d'éducation originales qui m'ont permis de rattraper une partie du retard de ma scolarité. Vous avez quitté le pays très jeune, vers les années soixante-dix, c'était dans quel but ? -C'est en septembre 1969, à 22 ans, que j'ai choisi de partir à la découverte de nouveaux horizons, en quête de liberté, d'apprentissage, et de rencontres. Je me suis installé en France à cette époque, et je me suis inscrit à la faculté de Droit d'Assas. Mais les conditions étaient difficiles : en deux ans et demi, j'ai eu deux fils et j'ai été contraint d'interrompre les études et de travailler pour faire vivre ma petite famille. J'ai eu la chance de trouver un logement à proximité de la fameuse place du Tertre, et en fréquentant cet espace magnifique, qu'on appelle « la Mecque des artistes », j'ai immédiatement senti mes doigts et ma tête commencer à me « chatouiller »... Ma passion pour les arts plastiques, la peinture principalement, était née. Je suis un autodidacte à part entière : mon apprentissage s'est réalisé sur le terrain, par la fréquentation assidue de ces artistes qui peignaient autour de moi et devant le public. Je me suis alors nourri de ces pratiques pendant des années et j'ai développé mes propres recherches artistiques sur la base des techniques acquises. « C'est en forgeant qu'on devient forgeron », dit un proverbe français. Vous êtes le fondateur en 1990, de l'association culturelle, Paris-Montmartre, et d'un Magazine trimestriel du même nom. Entre temps, vous avez organisé de nombreux événements et expositions que ce soit en France ou ailleurs. Pourriez-vous nous en dire davantage ? -L'association Paris-Montmartre regroupe principalement des artistes peintres, mais aussi des écrivains, des musiciens et chanteurs : elle a été fondée d'une part, pour représenter les artistes de Montmartre et défendre leurs intérêts, et d'autre part, afin d'organiser diverses manifestations et expositions, échanges culturels et déplacements de collectifs artistiques à l'étranger. Nous avons ainsi créé des événements dans plusieurs pays, tels que la Scandinavie, l'Allemagne, la Suisse, l'Italie, la Belgique, les Etats-Unis... Et puis, dès 1984 et jusqu'en 2007, en Tunisie, où nous nous sommes déplacés chaque année, par groupes d'artistes, pour des expositions à Tunis, Sidi Bou Saïd, Tozeur et régulièrement à Hammamet dans un hôtel dont les propriétaires aimaient beaucoup les artistes et les arts. En 2007, j'ai subi une opération importante, une transplantation hépatique qui m'a obligé d'interrompre l'organisation de mes activités. Depuis, je suis en rétablissement et nous n'avons pas encore repris les manifestations, compte tenu aussi de la situation dans le pays. J'espère ardemment que les choses s'amélioreront, se stabiliseront, et que la démocratie s'installera définitivement en Tunisie. J'ai organisé aussi de grandes manifestations tunisiennes à Paris, notamment avec la tenue de la « Semaine culturelle tunisienne à Montmartre », une première fois en 1993, l'autre un peu plus tard. Ces événements étaient placés sous le haut patronage de l'ancien président français, Jacques Chirac, et furent inaugurés par Alain Juppé, alors Ministre des Affaires étrangères et son homologue tunisien. Ces manifestations, qui comportaient le déplacement de nombreux artistes tunisiens issus du monde de l'artisanat, des arts plastiques, de la littérature ou de la danse moderne, ont reçu un excellent écho dans les médias aussi bien français que tunisiens. Parlez nous de l'Opération, « La Tunisie, moi, j'y vais... », dont vous êtes l'auteur. -Le Magazine Paris-Montmartre, que j'ai conçu à l'origine comme une émanation de cette association d'artistes, relate régulièrement depuis 1987, ces rencontres culturelles et humaines. En juin dernier, plusieurs pages de notre Magazine ont été consacrées à l'opération « La Tunisie, moi j'y vais », qui a recueilli auprès de nombreuses personnalités montmartroises, des témoignages de sympathie et de soutien à la Tunisie moderne et démocratique. Pour résumer : on fait ce qu'on peut avec les moyens du bord... et on continuera, j'espère ! Quelles sont vos impressions sur votre dernière exposition à la Galerie Saladin, Sidi Bou-Saïd ? -La dernière exposition à laquelle j'ai participé aux côtés de l'artiste Fathi Rebaï, vient d'avoir lieu à la Galerie Saladin, à Sidi Bou Saïd. Elle a connu un franc succès qui me rend heureux. Bien sûr, il ne s'agit pas de ma première participation en Tunisie ; chaque année, depuis 1984, je participais aux expositions collectives en présentant quatre ou cinq toiles. Mais c'est la première fois que j'expose plus d'une trentaine d'œuvres, de petits formats, et j'avoue que j'appréhendais un peu au début, la réaction du public. Pour tout vous dire, je doutais même que ces œuvres puissent avoir un impact sur les visiteurs, vu leur facture abstraite, mais je voulais tester cela. Le résultat était formidable ; des réactions enthousiastes, élogieuses...Bref, j'ai déjà réservé une nouvelle exposition avec mon ami Fathi Rebaï pour octobre 2016. Je suis très content de cette expérience et souhaite pouvoir la renouveler autant que possible dans les excellentes conditions que nous avons connues dans cet espace si convivial, qu'est la Galerie Saladin que détient Ridha Souabni.