Comme attendu, Mohsen Marzouk a annoncé, au grand public, hier, lors d'une conférence de presse, le nom de son nouveau parti. Ce sera «Harakat Machroû Tounes» (Mouvement du Projet de la Tunisie). L'annonce officielle de cette nouvelle formation politique sera, toutefois, faite le 20 mars courant. Seront, également, présentés à cette occasion la liste des membres fondateurs du parti, dont le nombre varierait entre 100 et 150. Spécificité de cette nouvelle formation politique, contrairement, à ce qui est d'usage, réside dans le fait qu'elle ne part pas de zéro, mais d'un important crédit humain et moral puisque d'entrée, le Mouvement du Projet de la Tunisie va disposer d'un bloc parlementaire de taille, fort de près de trente députés, ce qui va, certainement, changer la donne sur la scène partisane dans le pays. En effet, l'avènement d'un nouveau parti politique qui dépasse, d'entrée, l'Union patriotique libre (UPL) et le Front populaire de par le nombre d'élus à l'Assemblée des représentants du peuple (ARP), n'est pas peu de chose. Sans oublier que, si l'on croit Mohsen Marzouk, le nombre d'adhérents se compterait déjà par dizaine de milliers. Or, ce qui est à relever, c'est que le nouveau-né dans le paysage politique vient affaiblir ce qui était le premier parti du pays à l'issue du scrutin législatif d'octobre 2014, dans le sens où l'ossature essentielle du Mouvement du Projet de la Tunisie est composée d'ex-députés de Nidaa Tounes. La question que les observateurs se posent est la suivante: qui est derrière la dernière évolution de ce paysage et qui en est le principal bénéficiaire? Si on ne peut s'aventurer à donner une réponse à la première question, pour la seconde, il est indéniable qu'on peut répondre sans risque de se tromper, que le parti Ennahdha est le principal gagnant. Plus encore, de par son comportement, qualifié d'excessivement intelligent par les analystes, le mouvement de Rached Ghannouchi adopte un profil plus que bas puisqu'il devient un « parti civil, moderne, tunisien et sans aucun référentiel religieux ». « Le volet islamique sera l'apanage des associations », assure, en substance, M. Ghannouchi. D'ailleurs, Ennahdha nous rappelle son attitude adoptée en 2011 à la veille des élections de l'Assemblée nationale constituante (ANC) lorsqu'il avait raflé près de 40% des voix des électeurs et récolté 90 sièges à ladite ANC alors que les autres formations politiques ramassaient des miettes, ce qui avait permis au parti islamiste de l'époque d'avoir une mainmise totale sur les deux gouvernements de la Troika présidés, successivement, par Hamadi Jebali et Ali Laârayedh. En effet, usé par les années de pouvoir et par un fiasco total de sa politique de communication, Ennahdha a retenu la leçon. Du coup, on voit, très rarement, les ténors de ce parti sur les plateaux radiotélévisés. Et quand ils acceptent les invitations, ils tiennent un discours qui surprend tout le monde de par sa sobriété, sa modération, voire sa sagesse. Un discours qualifié de responsable et tolérant qui appelle à l'apaisement, à la stabilité et à l'appui de l'action gouvernementale. Ennahdha ne s'implique plus dans aucune action de protestation. Sauf lorsqu'il s'est agi de questions d'ordre religieux qu'il estime une ligne rouge à ne pas franchir. Ainsi lors de l'affaire des imams limogés, il a fini par avoir la peau de l'ancien ministre des Affaires religieuses, Othman Battikh, et lorsqu'il s'est agit des écoles maternelles coraniques, Noureddine Bhiri, chef du bloc parlementaire d'Ennahdha, est monté, en personne, au créneau. Sinon, on est en droit de s'interroger où sont passés les Habib Ellouze, Sadok Chourou, Walid Bennani, Sahbi Atig, Néjib Mrad, Habib Khedher, Yamina Zoghlami et bien d'autres qui s'étaient illustrés par leurs apparitions tumultueuses et objets de polémiques. C'est à croire qu'ils ont été « interdits » d'antenne. Tout ceci nous amène à dire que cette attitude d'Ennahdha – une révision de fond de principes pour les uns, une tactique de circonstance pour d'autres – lui vaut de l'estime et de la considération au sein de l'opinion publique. Les analystes estiment, d'ailleurs, que tout indique, en dépit des résultats de certains sondages dont la fiabilité reste à prouver, en attendant celui de Sigma Conseil, que si des élections législatives venaient à avoir lieu aujourd'hui, Ennahdha remporterait, haut la main, la décision, dans la mesure où les autres partis se trouvent en état de dispersion et d'éparpillement. Il faut dire que le parti de Rached Ghannouchi dispose de deux atouts majeurs en l'occurrence un esprit de discipline infaillible et un chef charismatique. Ennahdha est un parti qui peut faire une rotation de 180 degrés, si son chef le lui demande, sans risquer de tomber dans une crise. Ce qui n'est pas le cas d'aucun autre parti dans le pays. Il suffit d'entendre le langage adopté par les divers responsables d'Ennahdha pour s'en apercevoir puisqu'ils tiennent, tous exactement, le même discours. Ils vont jusqu'à utiliser le même enchaînement et les mêmes termes. Or, un des motifs majeurs de discorde au sein des autres formations politique, n'est autre que cette fameuse guerre de leadership, dans le sens où chaque dirigeant se dit: « pourquoi pas moi ». Béji Caid Essebsi a réussi à le faire, depuis la création de Nidaa jusqu'à son élection à la magistrature suprême. Hafedh Caid Essebsi a essayé de profiter de cet héritage, mais il n'y a pas réussi. Mohsen Marzouk y parviendra t-il ? Ce sera difficile au vu des jalousies et des critiques qu'il suscite parce qu'on soupçonne qu'il peut conquérir cette place de leader, même s'il en a l'envergure, de l'avis même de Bochra Belhaj Hamida qui voit en lui « un futur chef charismatique ». En résumé, avec la dispersion, constatée aujourd'hui, des forces de ce large centre, l'équilibre au sein du paysage partisan risque fort d'être rompu au profit d'Ennahdha. Et s'il est rompu, cette fois-ci, il faudrait beaucoup de temps pour le faire rétablir. Et en tout état de cause, les prochaines élections municipales constitueront le meilleur test pratique et grandeur nature pour fixer les tendances dans un sens comme dans un autre.