Dans le lot des messages envoyés, on saura que ni lui ni son parti ne participeront au futur gouvernement. Marzouk a toutefois insisté pour que le choix se porte sur une haute compétence capable de sortir le pays de la crise Le parti de Mohsen Marzouk voit officiellement le jour. Samedi, au palais des Congrès, des personnalités nationales et des invités étrangers ont fait le déplacement. Des congressistes, entre 700 et 900, venus des quatre coins du pays, se saluent et se congratulent. Un public jeune et nombreux occupe les gradins, comparable davantage à des supporters de foot qu'à des militants politiques ; il agite les banderoles. La coupole d'El Menzah s'est parée de grandes affiches aux couleurs du nouveau-né. Une musique tonitruante fuse de toutes parts. Des projecteurs suspendus jettent des faisceaux giratoires de lumière. L'ambiance est à la fête et la foule des grands jours. Dans cette atmosphère survoltée, vers 18h, le coup d'envoi du congrès fondateur est donné. De la dénomination longue et compliquée qui désigne le parti, « Haraket Machrou Tounes », les concepteurs semblent avoir finalement opté pour « Machrou », (projet) comme principale désignation. Un terme court qui évoque une situation en devenir et l'action d'entreprendre. La marque de fabrique revendiquée par Mohsen Marzouk et son équipe. Le logo du parti est une grosse clé ancienne pour ouvrir « la porte du salut ». Les couleurs choisies, d'après les badges distribués aux journalistes, sont le noir et le rouge pourpre. Les acteurs se sont relayés au pupitre, sans qu'un discours fasse particulièrement de l'effet. Le public n'écoute pas, les congressistes ne tiennent pas en place. Abderraouf Cherif a pris la parole en premier. De par son titre de président du Bloc El Horra, son apparition est importante. Celle-ci consacre l'appartenance parlementaire du parti qui peut se targuer de la troisième position à l'Assemblée. Quoique certains députés laissent encore planer le doute quant à leur affiliation. Beaucoup d'hésitation et de mouvements ondulatoires entre Nida Tounès le « parti ancien », et Machrou, le « nouveau parti » scissionnaire. Donner de l'espoir aux Tunisiens Des femmes et des hommes ont pris la parole, des jeunes aussi. On a déclamé de la poésie, chanté la Tunisie, glorifié la femme, aiguisé le sentiment patriotique, on a critiqué le présent et donné foi en l'avenir. Fatma Dhehibi, une des oratrices qui porte le voile et s'identifie à la Tunisie profonde, avec une voix qui porte et de la verve, a pu captiver pour un court moment la salle qui l'a applaudie. Sinon, ni les grands discours, ni les références historiques, religieuses ou patriotiques n'ont fait mouche. De toutes les allocutions, de l'Algérie, de l'Italie, de la Palestine, le palais a seulement vibré aux évocations qui font toujours tilt ; la libération de la Palestine, Bourguiba, les vers d'Abou El Kacem Echebbi. Grand moment de malaise, toutefois, à la lecture de la lettre envoyée par le président de la République. Le public a hué bruyamment à l'évocation d'engagements antérieurs empêchant Béji Caïd Essebsi de répondre à l'invitation. Il a fallu passer un film documentaire à un volume anormalement haut pour obtenir le calme de la salle. Vers le coup de 20 h, Mohsen Marzouk, très applaudi, fait son entrée. Charismatique, bon orateur, il a su trouver les mots et quelques formules pour capter l'attention de son auditoire. Le coordinateur général a prôné la réconciliation nationale et appelé à une démarche inclusive. Il a décrété la nécessaire séparation du politique et du religieux, et a été ovationné à ce passage d'un discours qui se veut improvisé et en dialecte tunisien. Une sérieuse alternative Dans le lot des messages envoyés, on saura que ni lui ni son parti ne participeront au futur gouvernement. Il a toutefois insisté pour que le choix se porte sur une haute compétence capable de sortir le pays de la crise. « Oui, je suis pressé », répond-il à la principale critique toujours invoquée à son endroit. « Oui, je suis pressé, a-t-il insisté, les militants et militantes le sont aussi, parce que la Tunisie n'attend pas ». Il a conseillé dans une pique acérée vers les deux principaux partis au pouvoir, « dans un congrès on invite ceux qui nous ressemblent et avec qui on partage des valeurs ». Il a critiqué par voie de fait le congrès de Sousse de Nida Tounès, dans lequel Ghannouchi a été reçu avec tous les honneurs, et celui d'Ennahdha où Béji Caïd Essebssi a tenu à marquer sa présence. Geste de courtoisie tout à son honneur, Marzouk a vivement remercié le président de la République, sifflé sans ménagement par la salle, « pour son message d'encouragement et pour la lettre adressée au congrès ». De fait, Machrou a répondu présent à tous les rendez-vous. Annoncé au mois de mars, le parti obtient le visa au mois de mai, organise en juin les meetings et les élections des 651 congressistes régionaux, et tient son congrès fin juillet. De tous ceux, membres fondateurs, poussés vers la porte de sortie de Nida Tounès, Marzouk apparaît donc comme le mieux loti. Il a créé une nouvelle formation politique qui fédère. Des bailleurs de fonds généreux semblent s'être embarqués avec lui dans l'aventure. Et derrière l'organisation réussie de cet événement décisif, des hommes de l'appareil du RCD auraient certainement mis la main à la pâte. Se revendiquant l'héritier des grands réformistes tunisiens, le point fort de Mohsen Marzouk est d'avoir inlassablement exploité toutes les erreurs faites par Béji Caïd Essebsi. Nida Tounès n'a pas encore organisé un congrès constitutif et électif digne de ce nom. Marzouk l'a fait. Caïd Essebsi a fait alliance avec Ghannouchi, Marzouk se démarque de cette association, cultive sa différence et confirme sa spécificité tunisienne, « ni charkia, ni gharbia », ni orientale, ni occidentale. L'ultime erreur du président est d'avoir cédé à la tentation dynastique. Dans ce magma politique, Marzouk se veut le leader d'une sérieuse alternative politique qui se dit éthique et démocratique. Visiblement, une partie des Tunisiens voudrait bien y croire.