Le livre Lectures du Coran sera réédité le 7 avril prochain par Albin Michel. Paru initialement en 1982, Lectures du Coran, épuisé, est un ouvrage-clé de la démarche engagée par l'islamologue algérien, décédé en 2010, rappelle son éditeur en quatrième de couverture. Arkoun a su mobiliser toutes les ressources de la linguistique, de la sémiotique, de l'histoire des mentalités et de la sociologie pour engager l'opération qui lui permet de déconstruire le discours classique sur le Coran. Plusieurs thématiques sont abordées dans l'ouvrage. L'auteur met en avant la «construction humaine de l'islam» (titre d'un recueil d'entretiens) : statut du Livre comme parole de Dieu, charia et condition de la femme, djihad, islam et politique, etc. L'éditeur signale que l'auteur considérait son livre — paru une première fois chez Maisonneuve & Larose — comme la «matrice de son œuvre» et a consacré les dernières années de sa vie à le remanier et à l'enrichir. Le mérite d'un tel travail revient à son épouse, la Marocaine Touria Yacoubi-Arkoun, qui a, précise-t-on, «réuni les ultimes versions de ses textes afin de permettre à cette édition définitive de voir le jour». Le résultat témoigne de la fécondité des pistes de recherche ouvertes près d'un demi-siècle plus tôt. Cette œuvre de visionnaire demeure d'une importance cruciale dans la lutte contre le fondamentalisme. Arkoun, qui a été critiqué pour sa démarche par des auteurs laïques mais surtout des penseurs de la mouvance fondamentaliste, a inauguré une démarche inédite dans la compréhension du texte coranique : il a mis en place ce qu'il a appelé l'islamologie appliquée, qui recherche les apports des sciences sociales modernes. La démarche développée par l'islamologue utilise les recherches engagées par Roger Bastide, l'anthropologie appliquée, ainsi que le «rationalisme appliqué» de Gaston Bachelard. Né au village Taourirt Mimoun, à Ath Yenni, Mohammed Arkoun a eu un parcours classique : études primaires dans son village natal, secondaires à Oran. Il étudie ensuite la philosophie à la faculté des lettres de l'université d'Alger, puis à la Sorbonne à Paris. Agrégé en langue arabe, il se fait connaître de ses pairs par son travail monumental sur Ibn Miskawayh, en traduisant son Tahdhib Al Ahlaq wa Tathir Al Araq en Traité d'éthique. Ses travaux ultérieurs confirment l'érudition d'un auteur qui a su explorer des pistes insoupçonnables en se faisant aider par une nouvelle méthodologie. Le travail scientifique engagé vaudra à l'auteur des inimitiés de nombreux docteurs de la foi. Mais l'œuvre inégalée d'Arkoun saura survivre aux contingences des hommes et à la disparition de son génial auteur. Mohammed Arkoun est un philosophe et historien de l'islam. Professeur émérite d'histoire de la pensée islamique à la Sorbonne (Paris-III), il enseigne, - au moment de la rédaction de l'article (il est décédé depuis, le 14 septembre 2010) - l'« islamologie appliquée », discipline qu'il a développée à partir des travaux de Roger Bastide sur l'anthropologie appliquée. Il s'intéresse de façon privilégiée à l'impensé dans l'islam classique et contemporain. Né en 1928 à Taourirt-Mimoun (Ath Yenni), un village kabyle du nord de l'Algérie, il a vécu dans une famille nombreuse et très pauvre [5]. Après ses études secondaires, il étudie la philosophie à la Faculté de littérature d'Alger puis à la Sorbonne à Paris. Il est agrégé en langue et littérature arabe en 1956 et docteur en philosophie en 1968. Ses importants travaux sur l'œuvre de l'historien et philosophe perse Ibn Miskawayh, du courant humaniste musulman, lui donnent une certaine notoriété. Directeur scientifique de la revue Arabica, il a joué un rôle significatif dans la connaissance érudite de l'islam en occident. Situer la pensée de Mohamed Arkoun Mohammed Arkoun pense qu'il est essentiel que l'islam accède à la modernité, politique et culturelle. C'est une «subversion» de la pensée islamique à laquelle il appelle : « Rien ne se fera sans une subversion des systèmes de pensée religieuse anciens et des idéologies de combat qui les confortent, les réactivent et les relaient. Actuellement, toute intervention subversive est doublement censurée: censure officielle par les Etats et censure des mouvements islamistes. Dans les deux cas, la pensée moderne et ses acquis scientifiques sont rejetés ou, au mieux, marginalisés. L'enseignement de la religion, l'islam à l'exclusion des autres, est sous la dépendance de l'orthodoxie fondamentaliste ». Mohammed Arkoun a développé pour cela une discipline nouvelle, l'islamologie appliquée, issue d'une idée qui existait déjà avec l'anthropologie appliquée de Roger Bastide, et le rationalisme appliqué de Gaston Bachelard. La notion d'islamologie appliquée lui est venue après l'indépendance de l'Algérie, après qu'il eût constaté et analysé les contradictions dans la culture de son pays et des pays du Maghreb après la fin de la période coloniale. Il a alors observé que les Algériens se sont mis à invoquer l'islam, à la fois en tant que religion et en tant que culture, dans le but de reconstruire la spécificité arabo-islamique niée par le colonialisme. Cette conception et la politique en découlant ne tenaient selon lui absolument pas compte, dans la nouvelle situation ni de la réalité et des caractères propres à l'histoire de l'Algérie, ni non plus du Maghreb dont il fait partie, ainsi que plus généralement de l'histoire de l'islam et de la pensée islamique. Or cette culture et la pensée islamique ont connu des périodes tout à fait différentes. Au XIIIe siècle s'est produit une rupture au sein même de la pensée islamique, bien avant l'intervention extérieure de la colonisation. Pour M. Arkoun, la plupart des musulmans refusent aujourd'hui de prendre véritablement en compte l'histoire longue de l'islam, ce qui pourtant serait nécessaire. Au Xe siècle, en effet, le monde musulman connut une vie intellectuelle brillante et très riche. Se développa notamment la philosophie islamique, au contact des auteurs grecs, en particulier Platon et Aristote, qui furent lus et traduits dans la perspective d'une synthèse à accomplir avec la pensée musulmane. A cette époque, la culture musulmane était ouverte aux autres cultures, en particulier à celles qui étaient présentes au Proche-Orient, et également dans l'Espagne d'al-Andalus. La religion, précise Arkoun, n'était pas alors en situation de prétendre contrôler la culture et la vie intellectuelle.