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Plus que jamais Mohammed Arkoun (1)
Pensées
Publié dans Le Temps le 19 - 09 - 2010

Le grand penseur Mohammed Arkoun vient de tirer sa révérence. Il laisse, certes, moult interrogations derrière lui.
L'homme qui a toujours cherché à percer les tabous, celui qui dérangeait aussi à sa manière, avec la désinvolture d'un penseur conscient de crouler aussi sous le poids de certains déterminismes, était d'une grande lucidité (prémonitoire ?) en livrant trois interviews au Temps, dans un dialogue où on décèle une complicité avec son ami de toujours notre collègue Hassan Arfaoui.
Compte tenu de l'intensité de cette actualité brûlante qu'est la pensée islamique au rapport de la modernité les propos de Arkoun ne meurent pas avec lui.
Nous entamons donc la publication des trois interviews de Arkoun au Temps : celle du 22 juin 2010 ; puis celle du 30 juin 2010 et, enfin, celle du 6 juillet.
On dit que les derniers propos d'un homme sont d'un souffle particulier. Et en l'occurrence, ceux de Arkoun ont quelque chose de « doucement dévastateur » en cette époque où les poisons de l'outrance s'insinuent dans la pensée islamique.
Interview au temps parue le 22 juin 2010
Penser l'espace maghrébin
Mohammed Arkoun est spécialiste de la pensée islamique et l'un des plus grands historiens des idées à l'échelle internationale. Il est professeur émérite à La Sorbonne, associé sénior à la recherche à l'Institut des Etudes Ismailiennes (The Institute of Ismaili Studies). Il a été membre du Wissenschaftskolleg de Berlin et de l'Institute for Advanced Studies de Princeton dans l'Etat du New Jersey aux Etats-Unis, Professeur affilié de l'Université de Californie à Los Angeles, du Temple University, de l'Université de Louvain-la-Neuve en Belgique, de l'Université Princeton, du Pontifical Institute of Arabic Studies à Rome et à l'Université d'Amsterdam.
Il a également dispensé de nombreux cours et conférences à travers le monde. Mohammed Arkoun a été membre du Comité directeur puis du Jury du Prix Aga Khan d'architecture, du Jury international du Prix UNESCO de l'éducation pour la paix et du Conseil scientifique du Centre international des sciences de l'homme de Byblos.
Il est officier de la Légion d'honneur, puis officier des Palmes académiques. L'Université d'Exeter (Royaume-Uni) lui attribue ensuite le titre de Docteur honoris causa. Mohammed Arkoun a été invité à donner les «Conférences de Gifford» (Gifford Lectures) à l'université d'Edimbourg (Ecosse), qu'il intitule «Inauguration d'une critique de la raison islamique» (Inaugurating a Critique of Islamic Reason), un des honneurs les plus prestigieux dans le milieu universitaire, permettant à un chercheur de grande renommée de contribuer à «l'avancement de la pensée théologique et philosophique». Il a reçu 17e «Giorgio Levi Della Vida Award» pour l'ensemble de ses contributions dans le domaine de l'étude islamique. Il est également lauréat du Prix Ibn-Rushd.
Le Temps : Vos lecteurs connaissent peu votre itinéraire personnel. Vous n'en parlez quasiment jamais et l'on a du mal à trouver des dédicaces dans vos livres. Votre œuvre intellectuelle serait-elle à ce point "exempte" d'influences d'ordre subjectif ?
Mohammed ARKOUN : On sait comment le discours savant élimine systématiquement le moi, sous prétexte de viser toujours l'objectivité. A force de pratiquer cet exercice depuis que je rédigeais des dissertations littéraires ou philosophiques au lycée, je suis devenu incapable de parler de ma vie personnelle. Récemment, je me suis laissé convaincre par des amis pour rédiger un fragment de ma biographie à Taourirt-Mimoun, mon village natal en Grande Kabylie. Il s'agit d'un épisode très significatif de l'évolution de ce village au début des années 50. Mon très regretté ami et compagnon de certains combats, Mouloud Mammeri, a été un des protagonistes importants d'une confrontation culturelle et religieuse dont j'ai montré les dimensions anthropologiques dans un texte intitulé Avec Mouloud Mammeri à Taourirt-Mimoun que j'ai publié récemment en appendice dans mon livre Humanisme et islam. Combats et propositions (Vrin, 2006). L'important pour les publics qui me lisent, c'est de retenir que j'ai grandi dans une société de culture orale, parlant jusqu'à ce jour une langue demeurée sans écriture propre. Ma mère, mes tantes, l'une de mes sœurs, ne savent ni lire, ni écrire ; elles ne comprennent pas l'arabe dialectal ; elles n'ont donc pas accès aux médias ; elles perpétuent une mémoire collective orale dont je regrette de n'avoir recueilli moi-même que quelques fragments peu exploitables...
A l'âge de neuf ans, j'ai quitté la Kabylie pour Aïn-el-Arba, un riche village de colons au sud-est d'Oran où mon père, émigré de l'intérieur comme beaucoup de Kabyles, possédait une petite épicerie. Il voulait déjà m'initier à son "métier", car il entretenait, seul, une famille élargie de dix personnes. Il a consenti, cependant, à me laisser fréquenter l'école primaire. Ce fut ma première expérience particulièrement douloureuse de petit Algérien isolé parmi ses camarades, tous arabophones ou francophones. Il a fallu très vite apprendre deux langues à la fois et faire l'expérience amère d'une minorité refoulée, voire méprisée par deux catégories socioculturelles dont les langues s'imposaient partout dans les espaces publics, alors qu'elles ne s'obligeaient jamais à une forme quelconque de réciprocité. Cette marginalité ressentie quotidiennement, était d'autant plus difficile à vivre qu'il fallait faire la différence entre le refoulement dû au système colonial dont souffraient également tous les "indigènes" et les ruptures de sensibilité, de mémoire collective, de références socioculturelles entre algériens arabophones et berbérophones. C'est peu de dire que mes origines et mon statut sociaux étaient modestes…
Très tôt, je voulais comprendre pourquoi une large partie de la population "indigène" était vouée à une existence difficile, précaire, rude, souvent déracinée, alors que les villages et davantage encore, les villes de l'Oranais offraient alors des espaces publics, des magasins, des cafés, des villas, des jardins dont la conception, la propreté, l'élégance, l'agencement, le confort, l'entretien contrastaient si violemment avec l'état extérieur et intérieur des "médinas" et des quartiers "indigènes" (je n'accédais pas alors aux demeures et monuments témoins d'une culture algérienne pour corriger une opposition que je vivais très mal).
La maison où je suis né et où j'ai vécu mes années d'enfance à Taourirt-Mimoun, n'a reçu aucune modification depuis sa première construction dans les années trente. Il y aurait beaucoup à dire sur cette résistance au temps d'une architecture artisanale en terre battue et sur cette persistance d'un milieu de vie dans une Algérie qui a connu tant de bouleversements depuis 1954. De même, à Aïn al-Arba, un de mes huit frères et sœurs a pris la succession de mon père et a fort peu modifié le cadre de vie que j'avais connu, enfant, dans les années quarante. Je retiens ces indications parce qu'elles expliquent mon approche radicalement anthropologique de ce que l'érudition musulmane aussi bien qu'orientaliste décrit sous le nom d'islam, de sociétés musulmanes uniformément soumises au droit dit musulman et à une tradition islamique globale, mal définie. Ma résistance à l'islamologie classique et à tout ce qui s'écrit sur l'islam dans la littérature largement médiatisée depuis l'irruption de la Révolution dite islamique en Iran, s'enracine dans le souci de donner une voix, au moins dans l'écriture historienne et anthropologique, à tant de groupes socio-ethno-culturels soumis dans toutes les sociétés travaillées par le fait islamique, à ce que j'ai souvent décrit sous le concept de dialectique des puissances et des résidus (voir Humanisme et islam).
La marginalité sociale et culturelle a pesé sur toute mon existence, puisque je la retrouve chaque fois que je rends visite à ma famille en Algérie. L'indépendance a aggravé les ruptures, les tensions et les rejets, alors que les promesses prodiguées pendant la guerre de libération annonçaient des remembrements, de nouvelles articulations, des dépassements, des chances enfin données à toutes les potentialités culturelles, intellectuelles, politiques, économiques d'une Algérie anthropologiquement et historiquement liée, comme l'ensemble de l'Afrique du Nord, à l'ensemble géohistorique et géopolitique méditerranéen. La marginalité vécue avec une telle continuité conditionne le regard et la position de l'analyste dans le champ des sciences sociales ; elle explique ma connivence intellectuelle et existentielle avec Pierre Bourdieu dont l'œuvre et notamment Le Sens pratique (minuit, 1980) consacré à la Kabylie, illustre admirablement une stratégie cognitive d'intervention dans tous les champs d'exploration des sciences de l'homme et de la société. C'est cette marginalité intériorisée comme une dimension essentielle de toute dialectique sociale-historique, assumée intellectuellement comme une valeur, une acuité du regard analytique, qui permettent de compenser dans et par l'écriture scientifique, les humiliations, les dominations, les frustrations, les éliminations arbitraires, infligées à tous les types de minorités, par les groupes et les acteurs qui exercent le monopole de la violence légale, sans jamais se soucier de que devient la légitimité politique, là où du moins des régimes démocratiques avancés accordent une valeur juridique aux débats sur la légitimité.
J'ajoute à ce propos que depuis les attentats du 11 Septembre 2001 et les ripostes militaires qu'ils ont déclenchées, les démocraties invoquent la légitimité de la « guerre juste » confondant la légitimité constitutionnelle moderne avec la légitimité théologique de la guerre juste définie au IVe siècle par Saint Augustin pour légitimer la défense et l'expansion du régime catholique de la « Vérité révélée », exactement comme l'ont fait les juristes musulmans avec le Jihâd.


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